Le Monde.fr : Le dérapage inéluctable du budget de la « Sécu »
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui a provoqué la censure du gouvernement Barnier, devait être examiné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale à partir de lundi.
Par Bertrand Bissuel
Publié le 27 janvier 2025
Jusqu’à quel niveau va-t-il s’enfoncer dans le rouge ? Lundi 27 janvier, le projet de budget de la « Sécu » pour 2025 devait, de nouveau, être examiné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il poursuit son cheminement chaotique après avoir été rejeté, le 4 décembre 2024, à la suite du vote d’une motion de censure qui avait provoqué la chute du gouvernement de Michel Barnier. L’un des principaux enjeux de la discussion à venir est d’essayer de contenir le déficit.
Les débats reprennent sur la version du texte qui avait été avalisée, le 26 novembre 2024, en première lecture, au Sénat – et non pas sur celle qui avait donné lieu, le lendemain, à un compromis, en commission mixte paritaire. Au moment d’être approuvé par les élus du Palais du Luxembourg, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) aboutissait, pour 2025, à un « trou » de 15 milliards d’euros – soit un résultat un peu moins dégradé que celui prévu initialement par l’équipe de M. Barnier (– 16 milliards).
Finalement, le déséquilibre sera probablement plus marqué, dans des proportions qui se révèlent, à ce stade, impossibles à connaître exactement. Le 23 janvier, la ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, a évoqué un solde négatif d’environ « 25 milliards d’euros », ce qui serait inédit dans une période où il n’y a ni crise sanitaire ni récession économique.
Le « coût » de la censure
Député Les Républicains (LR) de Meurthe-et-Moselle et rapporteur général de la commission des affaires sociales, Thibault Bazin est légèrement moins pessimiste, puisqu’il anticipe un déficit de l’ordre de 23 milliards, tout en se montrant prudent dans le pronostic. « Il est très compliqué d’avancer un chiffre car celui-ci va notamment dépendre de la date d’entrée en vigueur des dispositifs qui vont être adoptés pour dégager des recettes ou réaliser de nouvelles dépenses », confie-t-il.
Seule certitude : le dérapage est inéluctable. « Il faut avoir en tête que les hypothèses économiques se sont un peu dégradées, la croissance attendue en 2025 se montant désormais à 0,9 % alors qu’on tablait sur 1,1 % à l’automne 2024 », complète M. Bazin, laissant ainsi présager de moindres rentrées de cotisations sociales. En outre, la censure « a un coût », comme le dit le député LR, car elle a fait tomber des mesures qui permettaient des économies – par exemple la revalorisation inférieure à l’inflation des retraites au-dessus de 1 500 euros.
Enfin, le gouvernement de François Bayrou a revu à la hausse l’enveloppe budgétaire allouée au système de soins : l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie augmenterait de 3,3 % en 2025, soit un demi-point de plus par rapport à la précédente mouture du PLFSS. Un bol d’oxygène bienvenu, en particulier pour les hôpitaux, mais qui accroît la facture.
Déséquilibre financier
Dès lors, M. Bazin se donne comme « ligne » d’identifier « le chemin des possibles afin qu’un texte soit voté, avec le déficit le moins élevé possible ». C’est aussi le vœu formé par l’équipe de M. Bayrou. Dans un entretien au JDD du 19 janvier, Catherine Vautrin, la ministre de la santé, du travail, des solidarités et des familles, avait souligné qu’il était crucial d’avoir un budget de la « Sécu » : sans lui, le « trou » pourrait culminer à 30 milliards d’euros en 2025.
Sur le principe, tous les parlementaires convergent sur l’idée que l’Etat-providence ne peut pas rester éternellement dans une situation de déséquilibre financier. Comme le résume, sous forme de litote, Stéphane Viry, député (ex-LR, membre du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) des Vosges, « je ne pense pas qu’il y ait un assentiment à avaliser 25 milliards de déficit ». Mais le problème, enchaîne-t-il, est « que je ne vois pas l’esquisse d’une voie politique pour apporter des correctifs » et redresser les comptes. La représentation nationale peine, en effet, à s’entendre sur des mesures susceptibles de freiner les dépenses ou de rapporter des ressources.
Lors de l’examen du texte en commission mixte paritaire, un terrain d’entente avait été trouvé pour raboter un peu dans les allègements de cotisations patronales, afin de ramener quelque 1,6 milliard d’euros. La question qui se pose est de savoir si cette solution sera conservée, voire renforcée – comme le souhaite la gauche – pour accroître son rendement.
Autre option envisagée : les sept heures de travail supplémentaires non rémunérées, qui induiraient un surcroît de recettes de 2 milliards d’euros. Introduit en première lecture par le Sénat, ce mécanisme est regardé favorablement par des élus macronistes, dont Stéphanie Rist, députée (Renaissance) du Loiret, qui avait voté pour, « à titre personnel », durant les débats en commission mixte paritaire. « Cette disposition fait partie des sujets que nous devons aborder, mardi [28 janvier], en réunion de groupe, précise-t-elle. Nous verrons alors si nous la soutenons ou pas. » Mais elle a très peu de chances de prospérer car la gauche y est hostile, tout comme plusieurs représentants du Rassemblement national.
S’agissant de l’exercice en cours, il semble, de toute façon, acquis que le « trou » va se creuser. Pour Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne « le vrai rendez-vous, désormais, c’est le PLFSS 2026, qui doit se préparer dès à présent ». A ses yeux, il convient de s’occuper en priorité de « l’éléphant dans la pièce », c’est-à-dire le déficit de l’Assurance-maladie, qui provient, selon lui, « à 90 % » du non-financement des accords de Ségur. Conclus en 2020, ils ont augmenté – « à juste titre », relève M. Guedj – les salaires des soignants, mais sans que soient affectées les recettes nécessaires.
Bertrand Bissuel