Le Monde.fr : Déserts médicaux : le débat sur la contrainte à l’installation des médecins relancé
Mardi 1ᵉʳ avril, le premier ministre, François Bayrou, s’est prononcé en faveur d’une « régulation ». Une proposition de loi portée par le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot poursuit par ailleurs son chemin à l’Assemblée nationale.
Par Mattea Battaglia et Camille Stromboni
Publié le 03 avril 2025
Passera, passera pas ? La piste inflammable d’une régulation de l’installation des médecins, alors que les déserts médicaux s’aggravent dans de nombreux territoires, est de nouveau sur le devant de la scène. Avec une prise de position du premier ministre, François Bayrou, mardi 1er avril, à laquelle les acteurs du monde de la santé ne s’attendaient pas.
« Il faut probablement une régulation, comme l’ont décidé, conscients de la difficulté, nombre de professions de santé », s’est avancé le chef du gouvernement devant le Conseil économique, social et environnemental. Une référence, entre autres, aux chirurgiens-dentistes, aux pharmaciens ou encore aux infirmiers pour lesquels l’installation est aujourd’hui encadrée. Une parole encore floue, mais jamais portée en ce sens jusqu’à présent à Matignon.
Ce signal intervient alors qu’une proposition de loi sur le sujet est revenue à l’Assemblée nationale à la fin mars, suscitant une levée de boucliers attendue chez les médecins libéraux. Chez les parlementaires, en revanche, le soutien a été franc. Mercredi 2 avril, en séance publique, par 155 voix contre 85, et malgré l’opposition du gouvernement, ils ont voté le rétablissement de l’article 1er du texte, qui prévoit de limiter l’installation de médecins généralistes et spécialistes, libéraux et salariés, dans des zones du territoire jugées suffisamment dotées, en y conditionnant toute nouvelle arrivée d’un médecin au départ d’un autre. Un vote d’autant plus remarqué qu’en commission des affaires sociales cet article polémique avait été supprimé, le 26 mars.
Portée par le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot, qui, depuis trois ans, anime un groupe transpartisan sur le sujet, et prône cette solution pour améliorer la répartition des praticiens de ville, la proposition de loi est aujourd’hui cosignée par 255 autres députés – du parti Les Républicains à La France insoumise –, soit quelques dizaines de plus que lors des précédentes tentatives parlementaires.
Le temps a manqué, mercredi, pour aller au bout du texte, qui comprend trois autres articles. Mais ses défenseurs ont obtenu l’assurance de la conférence des présidents de l’Assemblée nationale d’une reprise des débats les 6 et 7 mai, lors de la prochaine semaine transpartisane.
Pénurie médicale généralisée
Les arguments des « pro » comme des « anti » sont connus. Les premiers soutiennent que les mesures incitatives (comme les aides financières) ou structurelles (comme l’emploi d’assistants médicaux) ont échoué. Qu’elles ne suffisent pas à arrêter l’aggravation des inégalités entre les territoires. Les défenseurs du texte ont encore plaidé en ce sens : il est urgent d’essayer cette autre voie de la régulation.
En face, les médecins soutiennent l’inverse : la contrainte à l’installation ne peut être qu’inefficace à l’heure d’une pénurie médicale généralisée. Et serait même « contre-productive », car elle viendrait décourager l’installation en libéral des jeunes médecins. Près d’une vingtaine d’organisations représentatives l’ont redit dans un nouveau communiqué commun diffusé jeudi 3 avril.
Reste à voir si les propos de François Bayrou, qui a affiché son intérêt pour les « initiatives » parlementaires sur l’accès aux soins, préfigurent un véritable changement de ligne du gouvernement, alors que la santé s’est imposée dans les premières préoccupations des Français. Depuis vingt ans que la question de la contrainte à l’installation se pose, à mesure que les déserts médicaux progressent, aucun exécutif n’a suivi cette stratégie.
Le président de la République, Emmanuel Macron, qui, en campagne en 2022, avait semblé entrouvrir la porte en évoquant une nécessaire « régulation » (tout en disant écarter tout « système contraignant »), n’a jamais soutenu dans les faits de mesures coercitives. Ni aucun des neuf ministres de la santé qui se sont succédé Avenue de Ségur, sous ses deux mandats.
« Solutions concrètes »
Yannick Neuder, nommé en décembre 2024, ne fait pas exception. Quelques jours avant l’intervention de François Bayrou, le ministre de la santé a rappelé sa « ligne », dans les médias. « Je ne suis pas favorable à la coercition ! Le niveau de pénurie est trop grand », déclarait le cardiologue, le 19 mars, dans Le Quotidien du médecin. Il a persévéré, mercredi 2 avril : « Une pénurie de médecins, même potentiellement régulée, reste une pénurie », a-t-il fait valoir devant les parlementaires, pour s’opposer à la mesure, évoquant un risque de déconventionnement des praticiens, de départs à l’étranger, et une « perte d’attractivité de l’exercice médical ».
Une discordance avec Matignon qui n’a pas échappé aux observateurs de ces débats récurrents. Le ministre de la santé a tenté de l’évacuer, dans l’Hémicycle, en reprenant à son compte l’annonce faite par François Bayrou, deux jours plus tôt : celle d’ouvrir des discussions, avec tous les acteurs de la santé, médecins et élus locaux, sans tarder, en avril. Le premier ministre s’est engagé à présenter, avant la fin du mois d’avril, un « plan de solutions concrètes ».
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Pour le rapporteur du texte, Guillaume Garot, cette reprise en main du sujet par le gouvernement ne peut néanmoins se substituer au travail du Parlement. « Nous avons franchi une étape décisive contre les déserts médicaux, une victoire politique qui montre que les mentalités changent avec l’aggravation de la situation sur les territoires, réagit-il. Nous ferons des propositions dans le cadre de cette concertation, et c’est très bien si cela permet d’accélérer les actions contre les déserts médicaux. Mais ça ne peut être l’occasion de détricoter notre travail législatif. »
Mattea Battaglia et Camille Stromboni