Les retraites

Mediapart : Le camp présidentiel prive une nouvelle fois l’Assemblée d’un vote sur la retraite à 64 ans

il y a 1 mois, par infosecusanté

Mediapart : Le camp présidentiel prive une nouvelle fois l’Assemblée d’un vote sur la retraite à 64 ans

Comme prévu, les macronistes et la droite LR ont multiplié les manœuvres pour empêcher l’abrogation de la réforme de 2023. Dans une ambiance devenue vénéneuse au fil des heures, un député du MoDem a failli en venir aux mains avec des collègues de gauche.

Mathieu Dejean, Pauline Graulle et Martine Orange

29 novembre 2024 à 09h00

Au moins les Insoumis auront-ils pu montrer une qualité qu’on ne leur connaissait guère : le flegme. Il en aura fallu du sang-froid pour traverser sans esclandres cette « niche » parlementaire. Une longue journée durant laquelle les macronistes et la droite Les Républicains (LR), se sachant en minorité, ont utilisé la quasi-totalité du temps de parole pour empêcher, coûte que coûte et vaille que vaille, le vote d’une proposition de loi portée par La France insoumise (LFI) pour abroger la réforme des retraites.

Défense vétilleuse de centaines d’amendements, suspensions de séance, rappels au règlement, demandes de scrutin public, multiplication des prises de parole, le plus souvent pour se perdre en considérations bien creuses… Comme prévu, toutes les (grosses) ficelles de l’obstruction auront été utilisées pour jouer la montre jusqu’à minuit, heure de la fin des débats.

La ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, qui se montrait pourtant, en privé, l’une des plus réservées sur la réforme Dussopt en 2023, a vaillamment tenu le crachoir avec force éléments de langage. Et les députés du « socle commun » qui avaient déserté l’hémicycle durant toute la séquence budgétaire sont pour l’occasion revenus en nombre. « Vous ne siégez pas pendant deux mois quand on parle des écoles, des hôpitaux, mais là, vous trouvez l’énergie pour que les gens aillent au travail jusqu’à la mort », a accusé le député insoumis de Toulouse, Hadrien Clouet.

Après quatre heures de discussions, alors que les députés n’avaient même pas fini d’examiner les amendements déposés avant l’article 1, le rapporteur du texte, Ugo Bernalicis, a interpellé les bancs face à lui : « Si vous voulez vous opposer à notre texte, il faut voter contre. Mais pour pouvoir voter contre, il faut qu’on puisse voter. Si vous êtes des amoureux de la démocratie, comme vous le dites, retirez vos amendements de titres, arrêtez les manœuvres dilatoires et entrons dans le fond du sujet ! »

De fond, il n’en sera pourtant presque pas question durant ces onze heures de « niche ». « Nous sommes en séance depuis 9 heures du matin, et nous avons mis 7 h 36 pour adopter le titre [de la proposition de loi – ndlr] », s’est désolé le socialiste Arthur Delaporte, avant que son collègue ex-insoumis Alexis Corbière ne fustige le « caractère grotesque de tout ça ». Le RN en a quant à lui profité pour faire son autopromotion : « Il y a une forme d’incongruité. La réforme foule aux pieds la démocratie populaire et parlementaire. J’en déduis qu’il faut un gouvernement du Rassemblement national pour abroger la réforme », a lancé Sébastien Chenu.

Rendez-vous raté pour les tarifs réglementés de l’électricité

C’est une proposition de loi directement inspirée par les associations de consommateurs UFC-Que choisir et CLCV. Inscrit dans la niche parlementaire de LFI, le texte n’a jamais pu être débattu ce 28 novembre. Il est pourtant au cœur des préoccupations budgétaires et politiques du moment : les tarifs de l’électricité.

Alors que les règles instituées au moment de l’ouverture des marchés de l’énergie à la concurrence sont en passe d’expirer fin 2025, la proposition de loi propose de revenir aux principes de base de l’économie de marché : c’est-à-dire des prix qui reflètent les coûts réels de production.

Le texte prévoit qu’à l’avenir les tarifs réglementés de l’électricité – qui concernent plus de 22 millions de consommateurs et servent de référence pour le marché français – soient établis à partir de règles simples et claires : « coûts de production du parc français, coûts d’imports nets, coûts d’acheminement et coût de commercialisation, en intégrant une rémunération normale de ces activités ne pouvant excéder 10 % de marge nette ».

Cette formule aurait le mérite d’en finir avec l’absurdité des formules byzantines et opaques instaurées en 2010 pour soutenir une concurrence factice. Déconnectés de tous les coûts de production, objets de manipulation et de spéculation, les tarifs réglementés ne sont plus que des prix factices, supérieurs de 20 à 40 %, selon les cas, à ce qu’ils devraient être.

La bataille autour des taxes de l’électricité – auxquelles le premier ministre dit renoncer pour le budget 2025 –, des prix qui vont baisser de 9 % au lieu de 25 % en février 2025, apportent une nouvelle illustration que ce bien essentiel n’est plus déterminé que par des arbitrages politiques d’opportunité.

Inquiètes du sort réservé à leur proposition, les associations de consommateurs ont sondé le gouvernement pour savoir s’il entendait reprendre à son compte leur proposition. En réponse, l’exécutif a agité comme d’habitude l’épouvantail de la Commission européenne pour justifier de son intention de ne rien faire.

Mis à rude épreuve, les nerfs des Insoumis n’ont pas lâché pour autant. Pas d’effusion de colère lorsqu’Aurore Bergé a évoqué sa fierté d’avoir « voté » une réforme adoptée par… 49-3. Ni quand Laurent Saint-Martin, successeur à Bercy d’un ministre qui passera dans quinze jours devant une commission d’enquête parlementaire pour avoir fait exploser les déficits, s’est mis à donner des leçons de bonne gestion budgétaire.

Pas de tapage, non plus, lorsque le macroniste Mathieu Lefèvre a fait mine d’apprendre que les Insoumis avaient appelé à un rassemblement populaire devant le palais Bourbon : « Je pensais que la loi se faisait ici, dans l’Assemblée nationale, mais manifestement, elle se fait dans la rue… Vous savez pertinemment que cette réforme ne sera jamais remise en cause, vous êtes des populistes. »

Une montée en tension jusqu’à l’incident…
« Soyez exigeants avec vous-mêmes, un peu de sérieux ! », s’est contenté d’ironiser Ugo Bernalicis, d’une rare sobriété en pareille circonstance, pendant que les députés, sagement assis dans l’hémicycle, prenaient leur mal en patience le nez sur leur ordinateur, ou tuaient le temps plongés dans un livre – Une mort très douce, de Simone de Beauvoir, pour Hadrien Clouet ; Une étrange victoire. L’extrême droite contre la politique, de Michaël Fœssel et Étienne Ollion, pour le communiste Nicolas Sansu.

On attendait des étincelles sur les bancs insoumis ; l’orage est en fait venu d’un député du MoDem, Nicolas Turquois, qui est sorti de ses gonds en fin de soirée. S’approchant du député socialiste Mickaël Bouloux, un index menaçant pointé sur son visage, il l’a violemment accusé d’avoir quelque chose à voir avec les menaces reçues par sa famille, alors que les Insoumis avaient lancé une campagne de « name and shame » sur les réseaux sociaux à l’égard des députés faisant de l’obstruction.

La tension est montée d’un coup. Et un attroupement s’est formé pour empêcher Nicolas Turquois d’en venir aux mains. Le président du groupe MoDem, Marc Fesneau, aidé des huissiers et d’autres députés, a finalement, quoique difficilement, réussi à sortir l’élu de l’hémicycle alors qu’il commençait à s’en prendre à l’Insoumis Antoine Léaument.

De retour après la pause dans un hémicycle devenu glacial, Marc Fesneau a tenté d’apaiser les esprits, reconnaissant un « échange vif ». « Ce sont des choses qui arrivent, même si recevoir des menaces à domicile, ça n’excuse pas... » « Cet incident intervient dans un moment de forte tension créée par l’obstruction du socle commun », a fait remarquer Arthur Delaporte, qui a appelé le bureau de l’Assemblée à se réunir pour prononcer une sanction à l’égard du député.

« Heureusement que M. Fesneau et les huissiers étaient là, sinon je ne suis pas sûr que je ne me serais pas pris une beigne », a déclaré Antoine Léaument, encore sonné par sa mésaventure, avant de se faire couper le micro par le président de séance (LR), Xavier Breton. Manuel Bompard est remonté au créneau, s’adressant aux macronistes : « Cet incident est la conséquence de ce que vous avez fait depuis ce matin. Vous portez une responsabilité, et vous aussi Madame la ministre. Aujourd’hui, vous avez définitivement détruit ce qu’est une niche parlementaire dans la Ve République. »

Le déshonneur et la censure
Quelques instants plus tôt, installé dans le bureau de Mathilde Panot situé à l’aile sud du palais Bourbon, Jean-Luc Mélenchon était loin d’imaginer la tournure que prendraient les débats. « C’est une figure nouvelle : l’obstruction gouvernementale. Toute la journée ils se sont discrédités », savourait-il, observant du coin de l’œil le téléviseur diffusant les débats dans l’hémicycle. L’ancien candidat à la présidentielle a goûté l’ironie du moment : une « débandade » du camp présidentiel. Puis de s’extasier : « C’est un jour assez extraordinaire. Ils ont perdu le contrôle du calendrier, qui est la géographie du combattant politique ! »

À l’intérieur de l’hémicycle, la gauche démunie a elle aussi tenté de se rassurer bon an, mal an. « Votre conduite montre que votre réforme, elle est foutue. Les salariés de ce pays vont vous mettre à terre aux prochaines élections », a averti le député LFI David Guiraud, à l’unisson avec sa présidente de groupe : « Nous sommes en train de vivre les dernières heures du gouvernement Barnier », a prédit Mathilde Panot devant la presse.

« À la fin, ils [les macronistes] auront le déshonneur et la censure », a ajouté la députée, en référence à l’interview du premier ministre dans Le Figaro, dans laquelle il annonce une « baisse sensible » de l’aide médicale d’État pour complaire au RN et ainsi sauver sa tête à Matignon. « Une faillite morale et une erreur profonde », selon les mots d’Arthur Delaporte.

Sur la place des Invalides où les Insoumis avaient donné rendez-vous pour une mobilisation vers 19 heures, quelques centaines de personnes s’étaient rassemblées, en écho au mouvement social historique de 2023, pour tenter de faire pression sur les députés en séance. Martine Billard, militante historique de LFI, n’a pas caché ses inquiétudes face à cette crise inédite sous la Ve République : « Le risque, c’est que ça dégoûte les gens de tout. »

Au micro des journalistes, Jean-Luc Mélenchon a quant à lui appelé le président de la République à démissionner : « Nous voici au pied du mur : dans six jours, le gouvernement sera tombé et son dernier acte aura été de maintenir cette mesure inacceptable. » La petite foule a applaudi. La rage était là. Un peu étouffée.

Mathieu Dejean, Pauline Graulle et Martine Orange