Les retraites

Le Monde.fr : Retraites : les obstacles à une dose accrue de capitalisation

il y a 1 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Retraites : les obstacles à une dose accrue de capitalisation

La création d’un fonds de pension obligatoire prendrait plusieurs décennies, moyennant un coût tellement élevé qu’elle serait quasi impossible, d’après une note du cercle de réflexion Terra Nova publiée lundi 19 mai.

Par Bertrand Bissuel

Publiéle 20/05/2025
A droite comme au sein du patronat, la retraite par capitalisation est, à nouveau, en vogue. Mais l’idée consistant à imposer ce système aux assurés soulève de tels problèmes de financement qu’elle paraît quasi impossible à concrétiser. C’est, en substance, le message contenu dans un article publié, lundi 19 mai, par le cercle de réflexion Terra Nova. Il tombe à point nommé puisque le sujet figure au menu des négociations que les partenaires sociaux ont engagées depuis le 27 février pour tenter d’améliorer les régimes de pensions.

La note diffusée lundi a été rédigée par Eric Weil, ancien collaborateur de Laurent Pietraszewski lorsque celui-ci était secrétaire d’Etat chargé des retraites (décembre 2019-mai 2022). Elle apporte une contribution intéressante à un débat qui resurgit, sporadiquement, depuis une trentaine d’années.

En France, les régimes de pension sont, pour l’essentiel, fondés sur un principe de répartition : les actifs paient des cotisations qui servent immédiatement à financer les prestations servies aux retraités. D’autres pays, comme la Suède, les Etats-Unis ou l’Australie, ont opté pour des formules hybrides, avec – à côté de la répartition – une part significative accordée à la capitalisation : cette dernière fonctionne selon une logique d’épargne dans laquelle chaque travailleur cotise « sur un compte personnel (…) ou dans un fonds commun », les sommes étant placées sur les marchés financiers, comme le rappelle la note de Terra Nova.

« Pas la solution miracle »
Depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent, dans l’Hexagone, pour promouvoir la construction d’un « pilier » de retraite par capitalisation obligatoire et collective qui compléterait le système par répartition français. L’ancien chef du gouvernement Edouard Philippe en a parlé, tout comme Gérald Darmanin, le ministre de la justice, ou son collègue chargé de l’intérieur, Bruno Retailleau. Parmi les organisations d’employeurs, la Confédération des petites et moyennes entreprises se montre très offensive sur la question et le Medef abonde dans le même sens. Des économistes, à l’image de Bertrand Martinot, ont produit des écrits qui plaident en faveur d’un tel scénario.

L’un de leurs principaux arguments est de dire que le régime d’aujourd’hui est menacé d’épuisement, du fait – en particulier – du vieillissement de la population. A terme, le niveau de vie des retraités par rapport à celui du reste de la population devrait décrocher, alors qu’il est approximativement le même, à l’heure actuelle. Dès lors, pour contrecarrer cette tendance, la piste d’une « dose de capitalisation » est mise en avant.

Pour Eric Weil, cette position repose sur des fondements « valables ». Elle permettrait, si elle était mise en œuvre, de profiter des rendements de la Bourse, qui sont plus « juteux » que ceux offerts dans un système par répartition. Cependant, ce « n’est pas la solution miracle », car elle nécessite une longue période de « transition » dont le coût s’avère « colossal ». Pendant « environ quatre-vingts ans », les actifs seraient conduits à s’acquitter d’une « double contribution » : l’une pour les personnes déjà à la retraite et l’autre pour eux-mêmes (avec le nouveau « pilier » en cours d’édification).

Pour illustrer son raisonnement, l’auteur de la note explique que « viser une part modeste de capitalisation, représentant à terme seulement 10 % à 15 % des dépenses de retraite pour les salariés du secteur privé », impliquerait d’injecter environ 20 milliards d’euros en plus, chaque année. Un fardeau lourd à porter, même si son poids aurait vocation à s’amenuiser au fil du temps. Dès lors, la probabilité serait grande de devoir mobiliser des « dépenses publiques additionnelles ». Une perspective qu’Eric Weil juge inopportune, car la France doit d’ores et déjà consentir à « des efforts budgétaires considérables » : résorption du déficit, défis liés à la transition écologique et au réarmement, etc.

« Réform[er] le marché de l’épargne »
Pour autant, l’auteur de la note pense qu’il serait judicieux de s’appuyer sur certains des mécanismes de capitalisation qui existent déjà en France sur la base du volontariat : les plans d’épargne retraite (PER). Ces dispositifs mériteraient d’être « démocratis[és] », estime-t-il, au niveau individuel, de l’entreprise ou de la branche. La loi Pacte de 2019 avait ouvert la voie, mais il convient d’aller plus loin, selon le signataire de l’article, en réorientant vers ces produits « une part plus importante de l’épargne des Français ». Eric Weil préconise, par exemple, de flécher vers les PER une proportion minimale des primes d’intéressement ou de participation attribuées par les employeurs à leurs salariés.

Pour faciliter la « montée en puissance » de ces outils, une « réforme du marché de l’épargne » serait la bienvenue, de manière à « réduire les frais de gestion » : ceux appliqués aux « PER individuels assurantiels, [qui sont] très prisés, grèvent le rendement réel des placements d’environ trois points par an », d’après la note de Terra Nova. Afin d’y remédier, plusieurs propositions sont faites, dont l’une passe par « un encadrement, voire un plafonnement par la loi » des frais de gestion. Eric Weil suggère également de « stimuler la concurrence » entre distributeurs de PER en créant un « fonds public » qui pourrait s’inspirer de celui déjà en place au Royaume-Uni (le National Employment Savings Trust).

Bertrand Bissuel