Le Monde.fr : Négociations sur les retraites : Force ouvrière dénonce une « mascarade » et claque la porte
Le troisième syndicat de France quitte définitivement un cycle de pourparlers censé se dérouler au moins jusqu’à la fin du mois de mai. La CGT pourrait, elle aussi, être tentée de partir.
Par Bertrand Bissuel
Publié le 28/02/2025
Le secrétaire général du syndicat Force ouvrière (FO), Frédéric Souillot, après une rencontre avec le premier ministre, François Bayrou, à Paris, le 9 janvier 2025. MARTIN LELIEVRE/AFP
Un tout petit tour et puis s’en va. Jeudi 27 février, Force ouvrière (FO) a claqué la porte de la première réunion de négociations sur les retraites aux alentours de 14 h 15, soit quinze minutes, à peine, après qu’elle s’est ouverte dans un immeuble abritant des services du premier ministre, au 20 avenue de Ségur à Paris.
Le troisième syndicat de France quitte ainsi définitivement un cycle de pourparlers qui est censé se dérouler au moins jusqu’à la fin mai, y voyant une « mascarade » orchestrée par le pouvoir en place. Un coup d’éclat qui confirme que l’exercice de « démocratie sociale », voulu par le chef du gouvernement, François Bayrou, sur ce dossier clivant promet d’être mouvementé, d’autres protagonistes étant susceptibles de prendre, eux aussi, la tangente.
Pour rendre publique sa décision, FO a soigné la mise en scène. Michel Beaugas, l’un de ses secrétaires confédéraux, a demandé à s’exprimer au commencement de la rencontre à laquelle participaient les représentants de cinq autres organisations de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, UNSA) et de quatre mouvements d’employeurs (Confédération des petites et moyennes entreprises, FNSEA, Medef, Union des entreprises de proximité).
M. Beaugas a lu une « déclaration liminaire », exposant les motivations de son syndicat, puis s’est éclipsé et a rejoint les journalistes, massés devant l’entrée du ministère, pour tenir les mêmes propos. Presque concomitamment, Frédéric Souillot, le numéro un de FO, se trouvait sur le plateau de télévision de Franceinfo, où il développait un argumentaire – évidemment – identique.
« Un vrai carcan »
Leur discours consiste à dire qu’il n’y a rien à espérer des discussions lancées à l’invitation du premier ministre sur les retraites. Ces échanges, cousus de fil blanc, relèvent de l’« instrumentalisation » selon FO car ils ne permettront pas de faire aboutir une revendication à laquelle le syndicat demeure viscéralement attaché : abroger la réforme de 2023, qui a repoussé de 62 à 64 ans l’âge légal de départ.
Aux yeux de M. Souillot, toute la communication du gouvernement, depuis plusieurs jours, vise à instiller l’idée qu’« on ne peut pas toucher » à cette mesure paramétrique, car cela ne ferait qu’accroître les problèmes de trésorerie des régimes de pension, en butte à un déficit appelé à s’accroître : près de 15 milliards d’euros en 2035, puis jusqu’à 31,6 milliards en 2045 dans le scénario le plus défavorable, selon un rapport de la Cour des comptes diffusé le 20 février.
Un élément supplémentaire conforte FO dans sa position : la lettre que M. Bayrou a envoyée, mercredi soir, aux acteurs sociaux afin de cadrer les tractations à venir. Elle fixe comme objectif un retour à l’équilibre de notre système par répartition en 2030. Le fait de tracer cette orientation « est un vrai carcan », qui se traduira, de manière implacable, par le « maintien du statu quo » et de la règle des 64 ans, d’après MM. Souillot et Beaugas.
L’annonce de FO n’est pas tout à fait une surprise. Le 20 février, M. Beaugas s’était déjà interrogé à voix haute sur la présence de sa confédération à la table des négociations, après avoir assisté – avec ses homologues – à une présentation du rapport de la Cour des comptes sur la santé budgétaire des caisses de retraite : « Je ne sais ce que fera mon organisation. »
« Effet domino »
Depuis plusieurs semaines, le troisième syndicat de France est traversé par des débats animés : une large partie des militants, en particulier ceux du courant trotskiste et leurs camarades de la sensibilité anarchosyndicaliste, exhortent la direction à ne pas s’impliquer dans la concertation proposée par M. Bayrou. Ils y voient une manœuvre du locataire de Matignon qui n’aura aucun débouché probant tout en donnant à celui-ci une stature d’homme de dialogue.
M. Souillot, qui appartient au camp des réformistes de sa centrale, ne peut pas rester indifférent à ce que pense la « base » de FO, d’autant moins qu’il est candidat à sa succession, à l’occasion d’un congrès programmé en 2026.
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Quelles incidences aura cet épisode ? « Il ne met pas un terme aux discussions qui ont débuté jeudi mais celles-ci seront, comme on pouvait s’y attendre, ardues », commente Franck Morel, conseiller social d’Edouard Philippe lorsque ce dernier était premier ministre (mai 2017-juillet 2020) et fin connaisseur de la sphère du paritarisme. D’après lui, les syndicats ont conscience qu’il sera difficile « de revenir sur les 64 ans car une telle option complique encore plus l’équation financière énoncée par le chef du gouvernement – à savoir un retour à l’équilibre du système de retraites en 2030 ».
Il reste que le choix de FO est de nature à produire un « effet domino ». « D’autres organisations peuvent être amenées à lui emboîter le pas et à s’en aller, au bout de quelques réunions », décrypte Raymond Soubie, président de la société de conseils Alixio et spécialiste du social. Les regards sont maintenant braqués sur la CGT, qui pourrait être tentée de sortir, elle aussi.
« Pression directe »
« La question se posera au fur et à mesure que la négociation avancera, sachant que nous en débattons avec nos instances très régulièrement », explique Denis Gravouil, le « M. Retraites » du deuxième syndicat dans l’Hexagone. A ce stade, la principale préoccupation est « d’instaurer un rapport de force dans le but d’abroger » les mesures d’âge de la réforme de 2023, insiste-t-il.
Mais ce qui est sûr, estime M. Soubie, c’est que le départ de FO exerce une « pression directe » sur les syndicats qui continuent, pour le moment, d’être présents dans les discussions. « Ils vont veiller à ne pas apparaître comme des forces qui collaborent à un processus dont le résultat pourrait être très éloigné de leurs attentes initiales : la remise en cause de la retraite à 64 ans, ajoute M. Soubie. Ces travaux ne s’emmanchent pas dans les meilleures conditions. »
M. Bayrou savait que la concertation désormais engagée serait pleine d’incertitudes. Dans un entretien au Figaro du vendredi 28 février, il rappelle la mise en garde qu’il avait faite peu après sa nomination à Matignon : si les représentants des travailleurs et des chefs d’entreprise n’arrivent pas à un accord, « on en restera au système » défini dans la réforme de 2023. En cas de « blocage », il juge « possible » de tenir un référendum au sujet des retraites. Une affirmation inattendue de la part d’un homme politique qui, jusqu’à présent, avait affiché sa confiance dans la démocratie sociale et misé sur elle pour impulser des changements.
Bertrand Bissuel