Les retraites

Le Monde.fr : A l’Assemblée nationale, le RN met en scène son impuissance

il y a 3 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : A l’Assemblée nationale, le RN met en scène son impuissance

Pour ne pas donner prise à son échec, le parti d’extrême droite a consacré plus de la moitié de sa niche parlementaire, jeudi 31 octobre, à la défense d’un texte d’abrogation de la dernière réforme des retraites pourtant vidé de sa substance.

Par Corentin Lesueur

Publié le 01/11/2024

« Chers collègues, que faisons-nous aujourd’hui ? » De nombreux députés ont cherché le sens des débats du jeudi 31 octobre. Sur le plan législatif : aucun. Ils ont consacré une bonne partie de leur journée à débattre d’articles et d’amendements abscons, relatifs à d’hypothétiques rapports sur les retraites et tombés – avant même d’être votés – aux oubliettes de l’Assemblée nationale. La faute au Rassemblement national (RN) qui, maître de l’ordre du jour à l’occasion de son annuelle niche parlementaire, avait choisi de maintenir au programme une proposition de loi (PPL) d’abrogation de la dernière réforme des retraites, pourtant vidée de sa substance après son passage en commission.

Le parti d’extrême droite a préféré sacrifier plus de cinq heures de cette journée à d’inutiles échanges plutôt que de s’avouer vaincu par la gauche. « La niche parlementaire est un monde parallèle pour les Français, ça n’intéresse que les politiques et les journalistes, justifiait, la veille, Jean-Philippe Tanguy, président délégué du groupe RN. Cette journée est surtout de l’affichage : on refuse de laisser passer l’idée que le social serait secondaire pour nous, de laisser les journaux titrer qu’on renonce sur la réforme des retraites. » Alors son parti a laissé traîner les discussions sur un texte dévitalisé. Et l’opération « dévoilement » des « socio-traîtres » promise par les frontistes a tourné à la mise en scène d’une formation aigrie par son impuissance.

L’amertume du RN est à la hauteur des espoirs fondés depuis des semaines par le mouvement sur ce 31 octobre. Fort du plus grand groupe à l’Assemblée (125 membres), donc de la première niche parlementaire de la législature, l’ex-Front national comptait prendre de court sur les retraites une gauche prise dans un dilemme entre concession historique à l’extrême droite ou renoncement à une promesse fondamentale. L’artillerie communicationnelle était prête : un site Internet a été créé pour que les électeurs écrivent aux députés coupables de renier leurs convictions ; élus qui feraient ensuite l’objet de tracts – avec nom et photo – à diffuser dans leur circonscription. Ne manquait plus que le vote du texte piégeux.

« Des méthodes de voyous ! »
Las. En s’abstenant en commission des affaires sociales, de nombreux élus de gauche ont laissé le centre et la droite supprimer les principales dispositions de la PPL, dont la réintroduction par amendements a été refusée par la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. « Ils pensaient qu’on allait abandonner, rumine Thomas Ménagé, rapporteur (RN) du texte amputé. On était prêt à tout pour ne pas donner l’impression de jeter l’éponge. »

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Quitte à donner l’impression d’un parti sombrant dans l’aigreur. L’élu du Loiret a plusieurs fois listé les « traîtres » qui, pour l’avoir censuré – ou pas soutenu – en commission, « devraient avoir honte de ne pas respecter le mandat qui leur a été confié et leur profession de foi ». A ceux-là, le RN promet une campagne tendue aux prochaines législatives.

« J’avais un peu de respect pour vous, mais c’est le Front national qui revient aujourd’hui ! Ce sont des méthodes de voyous ! », a grondé Richard Ramos, député MoDem du Loiret, dont le visage a déjà été édité sur des documents de l’entreprise de « name and shame » du RN. « La délation, nous le savons, est une grande tradition de l’extrême droite et du Rassemblement national, tradition dont vous vous faites les continuateurs dans l’Hémicycle », a dénoncé la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain.

Dissensions au sein du groupe RN
A vouloir dénoncer tous azimuts la « duplicité » de ses adversaires, le RN a mêlé sa rancœur d’aujourd’hui à celle d’hier, ressassant inlassablement sa frustration des défaites de 2022 (présidentielle) et 2024 (législatives). A coup d’amendements sur d’obscurs rapports ou gages, et d’incessants rappels à la loi, chaque groupe a pu déverser sa haine sur le camp d’en face. Jusqu’à perdre définitivement le sens des discussions. Thomas Ménagé rappelle qu’Astrid Panosyan, ministre du travail, comptait parmi les fondateurs de l’honni mouvement macroniste En marche !. « Mais votre parti à vous, il a été fondé par des SS ! », répond Thomas Cazenave, député Renaissance (Gironde). « Quelle est l’utilité de cette niche parlementaire, sinon d’illustrer une forme d’impuissance ? », a résumé Thibault Bazin (Les Républicains, Meurthe-et-Moselle).

Passé le ping-pong d’invectives et de menaces, ce qu’il restait de la PPL est passé au vote, largement rejeté. Un autre sort pourra être réservé à l’abrogation des retraites annoncée dans la niche de La France insoumise, le 28 novembre, et à laquelle le RN a promis d’apporter ses voix. Contrainte par le temps consacré à cette première PPL, l’extrême droite n’a pu défendre que deux des cinq autres textes programmés ce 31 octobre. Dans une Assemblée nationale plus calme mais pas moins décidée à assurer l’échec du parti de Jordan Bardella, l’initiative du RN visant à faciliter l’expulsion des étrangers coupables de délits et de crimes a été balayée, tout comme celle déposée pour autoriser la location de passoires thermiques.

Le grand « dévoilement » du RN aura surtout mis au jour son propre isolement. Et les premières dissensions au sein de son groupe. Contre la consigne que leur avait rappelée Marine Le Pen, les trois députés apparentés RN et proche de Marion Maréchal – Eddy Casterman, Anne Sicard et Thibaut Monnier – se sont abstenus sur les retraites. L’exclusion d’office leur était promise en cas de pareille liberté. Marine Le Pen, furieuse d’un tel affront, devrait finalement les sanctionner d’un simple avertissement. Le parti a suffisamment d’adversaires pour se permettre une crise interne.

Corentin Lesueur