L’hôpital

Le Monde.fr : Hôpital : aux urgences, le « désengorgement » promis par Emmanuel Macron n’a pas eu lieu

il y a 2 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Hôpital : aux urgences, le « désengorgement » promis par Emmanuel Macron n’a pas eu lieu

Blocs opératoires saturés, lits en nombre insuffisant… A la veille des congés de Noël, les soignants décrivent, dans la France entière, des services « qui ne tiennent qu’à un fil » et expriment leur lassitude face à l’inertie des politiques.

Par Mattea Battaglia

Publié le 12/12/2024

« Les promesses n’engagent que ceux qui y croient… » La formule, un peu galvaudée, revient ces derniers jours dans la bouche des médecins urgentistes. Il y a vingt mois, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, promettait de « désengorger » leurs services, porte d’entrée d’un hôpital sous pression. Et ce, d’ici à « décembre 2024 ». A l’époque, beaucoup disaient déjà douter, tout en saluant l’affichage d’une date butoir. L’échéance venue, le doute est devenu certitude : « Sans surprise, la promesse présidentielle n’est pas tenue », rapporte Marc Noizet, président du syndicat SAMU-Urgences de France (SUdF).

La photographie nationale, à la veille des congés de Noël, est « hétérogène », décrit l’urgentiste de Mulhouse (Haut-Rhin) : « Il y a des endroits où les dysfonctionnements et la crise sont toujours aussi profonds, on ne s’en extirpe pas, et d’autres qui se réorganisent et inventent des solutions… Mais la pression est générale, les urgences ne tiennent qu’à un fil. »

De Rennes à Avignon, de Toulouse à La Roche-sur-Yon, en passant par Nice ou Toulon, les soignants ne cachent pas une forme de lassitude face à la « lenteur » de l’action publique et au « flottement » politique. « On n’est pas aidé, euphémise Muriel Vergne, médecin urgentiste au centre hospitalier de Toulon et secrétaire générale de SUdF. Les médecins sont lucides : les urgences, avec ce qui se joue en politique, six ministres de la santé en deux ans – et bientôt sept –, ne sont pas une priorité. »

L’urgentiste relève que, sans être encore « dans le dur » des congés et des épidémies hivernales, les blocs opératoires sont, chez elle, déjà saturés et que l’afflux de patients augmente de jour en jour. « On a des plannings à trous, et le Père Noël ne va pas nous apporter de praticiens dans sa hotte ! » Elle comme d’autres soignants le soulignent : « Il suffit d’un arrêt maladie, d’un médecin de moins au planning, pour que la machine se grippe. »

Le point noir des « lits d’aval »
Récurrentes, les mobilisations de soignants viennent le rappeler. Comme cette grève reconductible, au CHU de Grenoble, qui a redémarré le 10 décembre, pour dénoncer le manque de moyens et les patients qui s’entassent dans les couloirs.

Avant ça, c’est à Périgueux que les soignants se sont mobilisés, ou encore à Carhaix (Finistère). Remontent aussi régulièrement du terrain des récits, plus ou moins graves, symbolisant des conditions d’accueil dégradées : cet automne, le témoignage d’un patient ayant passé une nuit dans un garage de l’hôpital de Langres (Haute-Marne), faute de lit disponible, confirmé par des soignants, a eu un retentissement national.

Les urgences concentrent, de fait, les problématiques de l’ensemble du système de santé, entre d’une part les déserts médicaux qui s’aggravent et leur lot de patients qui affluent faute de prise en charge « en ville », et, d’autre part, un hôpital en tension où les lits manquent.

Plus que les statistiques des passages quotidiens, ces « lits d’aval » sont le « point noir » sur lequel les urgentistes ne cessent d’alerter. Cheffe des urgences à Montauban, Hélène Pizzut explique ainsi la « fragilité » de son service, régulé à l’entrée, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par l’intermédiaire du 15, depuis maintenant plus de deux ans. « La tension s’est fortement aggravée, avec tout un service – la gastro-entérologie – qui a fermé, mais aussi des lits qui manquent en cardiologie, en pneumologie… A chaque garde, on rejoue le même scénario : “A la recherche désespérée d’un lit”… Tous les matins à 8 heures, entre dix et quinze patients attendent un lit, quand, l’hiver dernier, ils étaient plutôt entre sept et dix », précise-t-elle. A Poitiers, ce sont des lits en cancérologie et en pneumologie qui font défaut… A Nice, c’est en psychiatrie que la place manque, mais également en soins intensifs et en réanimation.

La tendance n’a pas été inversée
Une autre promesse gouvernementale paraît aujourd’hui remise en question : celle de rouvrir des lits – plus d’un millier, avait avancé, il y a un an, l’ex-ministre de la santé Aurélien Rousseau –, grâce à des mesures d’attractivité supplémentaires, comme la revalorisation du travail de nuit des soignants.

Certes, ces derniers mois, plusieurs hôpitaux ont rapporté des « signaux positifs », un « frémissement » dans les recrutements d’infirmiers. Mais la tendance n’a pas été inversée : selon les derniers chiffres publiés par la direction statistique des ministères sociaux, quelque 4 962 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée) ont été fermés en 2023 – soit − 1,3 % en un an – et 43 500 depuis 2013, une décennie marquée par une hausse des soins en ambulatoire.

A La Roche-sur-Yon, où la régulation est appliquée la nuit, de 20 heures à 8 heures, depuis deux ans et demi, François Brau fait part d’une situation « légèrement meilleure qu’à l’hiver 2023 », notamment grâce à « un peu plus de ressources médicales et paramédicales ». Et pourtant, chaque matin, il compte entre quarante et cinquante « patients brancards », quand « l’idéal », au vu du dimensionnement de son service, serait entre dix et quinze, précise le praticien hospitalier.

C’est sur la saturation de « l’aval de l’aval » que l’urgentiste Louis Soulat, chef de service au CHU de Rennes, alerte aussi, à propos de ces places en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), en soins de suite et de réadaptation qui font défaut. Ce qui peut « bloquer toute la chaîne », avec des patients âgés, « polypathologiques », comme disent les médecins, contraints d’être gardés à l’hôpital, alors que leur état de santé ne le justifie pas toujours. En Bretagne, « les tensions sont déjà ressenties un peu partout », rapporte-t-il encore, citant, dans le Morbihan, Vannes, où un plan blanc a dû être activé fin novembre, mais aussi Fougères, Vitré, Redon (Ille-et-Vilaine)… Après avoir déclenché la régulation de l’accès aux services pour la première fois cet été, certains établissements bretons l’envisagent de nouveau pour cette période hivernale, « sans doute un mois, au moins dans les services d’urgence des métropoles de Rennes et Saint-Malo ».

Les difficultés liées aux « patients psy »
Autre problématique qui met en difficulté les services : l’arrivée, souvent en état de « crise aiguë », de patients souffrant de troubles psychiatriques. « Des patients compliqués, agités, parfois suicidaires, attendent chez nous faute de place dans un service ou un établissement de psychiatrie, relate Dominique Savary, chef des urgences d’Angers et vice-président de la Société française de médecine d’urgence. C’est très difficile à gérer dans des services ouverts comme les nôtres… Sur les nombreux patients présents dans les couloirs de nos urgences, chaque matin, entre un tiers et la moitié sont des “patients psy”. »

Le sujet trouve aussi un écho aux urgences de Nice : « Au petit matin, on a en moyenne huit patients qui attendent leur hospitalisation, ainsi que cinq “patients psy” », témoigne Pierre-Marie Tardieux, chef du pôle des urgences.

Il s’inquiète aussi d’une succession d’agressions récentes, malgré le déploiement d’un important dispositif de sécurité (boutons d’alerte dans les box, personnels de sécurité, vidéosurveillance). « Un infirmier, une aide-soignante, un brancardier en ont fait les frais, sur trois nuits d’affilée, raconte-t-il. Ivresse aiguë, familles agressives, délais d’attente qui insupportent : c’est le cocktail… » Il envisage désormais, avec son équipe et la mairie de Nice, une présence policière la nuit. « Il y a quelques années, on l’aurait rejetée, par crainte que ça n’interfère dans la relation aux patients, mais vu la situation, on ne l’exclut plus. »

Depuis la sortie de la crise du Covid-19, le gouvernement a avancé plusieurs réponses pour faire baisser la pression sur ces services : régulation à l’entrée par un appel au SAMU, déployée à la carte sur les territoires ; développement des services d’accès aux soins, pour mieux répondre à la demande de soins urgents avec le concours de la médecine de ville… Ce qui était au départ une réponse provisoire à la crise de l’été 2022 – quand 120 services des urgences, sur un peu plus de 650, avaient signalé des fermetures le soir, la nuit, le week-end… – a été, depuis, pérennisé. Autant de mesures qui touchent surtout à l’« amont », comme disent les soignants ; autrement dit, au tri à l’entrée des urgences.

« Il faut assumer de modifier la carte hospitalière »
D’autres pistes, promises dès 2018 par l’exécutif quand les urgentistes avaient lancé un mouvement de grève inédit, restent lettre morte. En premier lieu, ce « besoin journalier minimal en lits », un dispositif revenant à réserver chaque jour des lits pour les patients des urgences, qu’ils voudraient rendre obligatoire dans tous les hôpitaux.

Une autre proposition, moins consensuelle, est avancée dans les rangs du syndicat SAMU-Urgences de France : revoir le maillage territorial des services, pour concentrer les ressources humaines là où sont les besoins, au prix de potentielles fermetures.

« Il faut assumer de modifier la carte hospitalière », défend Marc Noizet. Le gouvernement a déjà enclenché, à bas bruit, le mouvement : un décret portant sur les urgences, publié le 29 décembre 2023, permet notamment de transformer un service, censé être ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en « antenne » ouverte seulement la journée. Reste à en définir la liste, alors que chaque décision de fermeture provoque une levée de boucliers dans les territoires concernés.

« C’est un décret inique, estime pour sa part le porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, Patrick Pelloux. Quand vous autorisez un service à fermer du jour au lendemain, c’est un jeu de domino qui commence. Un service après l’autre. Et, à la fin, c’est l’hôpital qui tombe. »

Mattea Battaglia