L’hôpital

Mediapart : Surendettement, trésorerie : de nombreux hôpitaux publics sont « dans le rouge »

il y a 2 semaines, par infosecusanté

Mediapart : Surendettement, trésorerie : de nombreux hôpitaux publics sont « dans le rouge »

Des directeurs alertent sur l’ampleur du déficit de leurs établissements en 2024. Les causes en sont connues : des promesses non tenues du gouvernement sur la compensation des augmentations de salaire et de l’inflation, et la reprise d’une dette colossale de 30 milliards d’euros.

Caroline Coq-Chodorge

16 janvier 2025

Le temps des promesses mirobolantes pour l’hôpital public est bien révolu. Il a suffi de deux petites années, le temps que le covid s’estompe. Fin 2022, les hôpitaux bouclaient leurs comptes avec un déficit de 1,3 milliard d’euros, un niveau alors « sans équivalent » depuis 2007 selon la Cour des comptes, qui s’est livrée en 2023 à un état des lieux.

Fin 2023, le trou dans les comptes s’est encore creusé à près de 2 milliards d’euros. En 2024, selon nos informations que n’a pas contredites le ministère de la santé, le déficit plongerait encore, à − 3,5 milliards d’euros. Interrogé par Mediapart, le ministère de la santé explique que « les donnés pour l’exercice 2024 sont en cours de consolidation ». Après les soubresauts du covid, l’activité des hôpitaux, dont dépend leur budget, a pourtant repris fortement.

Plusieurs directeurs d’hôpitaux alertent sur la situation financière de leurs établissements, et pas des moindres. Nicolas Revel, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP, le plus grand groupe hospitalier d’Europe), a décrit mardi 14 janvier, sur France Inter, une « dérive budgétaire des hôpitaux », et de l’AP-HP en particulier, qui se trouve « dans le rouge » avec un déficit record de 460 millions d’euros à la clôture de l’année 2024. Le taux d’endettement du plus gros groupe hospitalier de France dépasse aujourd’hui les 40 %. Pour la Cour des comptes, c’est une situation de surendettement.

Un autre mastodonte hospitalier, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), est dans une situation plus délicate encore. Son déficit fin 2024 est de 94 millions d’euros, un peu moins que prévu. Mais il ne permet pas de résorber une dette colossale de 857 millions d’euros. Pour un budget de 1,8 milliard d’euros, le taux d’endettement du groupe d’hôpitaux marseillais atteint 45 %. Aujourd’hui, l’AP-HM ne peut emprunter auprès des banques « que de manière très limitée », explique à Mediapart son directeur général, François Crémieux.

La trésorerie du groupe d’hôpitaux marseillais est asphyxiée. « Aujourd’hui, le délai de paiement de nos fournisseurs est de 110 jours, poursuit François Crémieux. On estime qu’en juin ce délai sera de 150 jours. C’est beaucoup. Nos hôpitaux pèsent lourd dans l’économie locale, nous mettons en péril des entreprises. »

Les augmentations de salaire et l’inflation n’ont pas été compensées
Les deux directeurs généraux s’accordent sur les causes de cette hausse du déficit : ce sont les promesses non tenues de l’exécutif. Les augmentations de salaire des soignant·es consenties lors du Ségur de la santé en 2021 n’ont pas été entièrement compensées. À l’AP-HP, Nicolas Revel chiffre ces hausses de salaire à « 900 millions d’euros » en 2024, compensés par l’État à seulement « 80 % ». À Marseille, Marie-Anne Ruder, directrice générale adjointe des hôpitaux marseillais, chiffre le surcoût non compensé de l’augmentation des salaires à 25 millions d’euros.

Les ministres successifs ont encore fait la promesse de compenser intégralement le coût de l’inflation. À Marseille, le surcoût de l’inflation non compensé est lui aussi d’environ 25 millions d’euros. Aux hôpitaux de Paris, l’inflation n’a été compensée qu’« au tiers » selon Nicolas Revel. Si ce sont les CHU qui sont dans la plus grande difficulté – à l’image de l’AP-HP et de l’AP-HM –, le déficit des centres hospitaliers se dégrade lui aussi.

En réponse à nos questions, le ministère de la santé fait l’impasse sur les promesses des ministres qui ont défilé avenue de Ségur : il se décharge de toute responsabilité, en pointant « l’augmentation des charges (...) beaucoup plus dynamique, sous l’effet de plusieurs facteurs combinés dont notamment le rattrapage des salaires et l’impact de l’inflation exceptionnelle, en particulier en 2022 et 2023. »

Bayrou promet une « hausse notable » du budget de l’assurance-maladie

Le premier ministre l’a reconnu dans son discours de politique générale : « L’hôpital connaît aussi une crise, en particulier financière, qui est plus que préoccupante. » Et pour faire face, notamment, à cette crise, François Bayrou s’est engagé sur « une hausse notable » du budget de l’assurance-maladie. Avant de préciser dans l’échange avec les parlementaires qu’il comptait proposer un objectif de dépenses en progression de 3,3 %, au lieu de 2,8 % comme prévu dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) du gouvernement Barnier. « Ce sont des milliards d’euros supplémentaires pour les hôpitaux et les Ehpad », a fait valoir le premier ministre.

En réalité, la marche reste haute tant le texte présenté par le précédent gouvernement était austéritaire. Tout se jouera dans les détails : comment cette hausse sera-t-elle ventilée entre les différents postes de dépenses ? Dans le PLFSS du gouvernement Barnier, le budget des établissements de santé progressait de 3,1 %, une hausse non négligeable… sur le papier. Les acteurs du secteur ont fait leurs comptes : cette hausse était balayée par l’inflation et surtout la hausse des cotisations des établissements à la caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. En définitive, les établissements de santé devaient se projeter dans un budget gelé, alors que les besoins de santé d’une population vieillissante ne cessent de progresser.

Le naturel revient donc au galop : les hôpitaux sont toujours la variable d’ajustement en cas de crise, parce qu’il est aisé de baisser le tarif de leurs actes, à la différence de la médecine libérale, très difficile à réguler. À partir de la crise de 2008, ce sont les hôpitaux qui ont consenti le plus haut niveau d’économies, PLFSS après PLFSS. « En 2020, avec le covid, on s’est rendu compte qu’on était allé trop loin. La charge de travail des soignants était trop élevée, les salaires insuffisants », rappelle François Crémieux.

Avec le Ségur de la santé, l’effort consenti par l’État en 2021 pour augmenter les salaires et investir dans les hôpitaux a en partie payé. Même l’AP-HP, pourtant boudée par les soignant·es non médecins en raison du coût de la vie francilienne, est parvenue à « pourvoir 950 postes d’infirmiers supplémentaires », s’est félicité Nicolas Revel. En 2024, 375 lits ont rouvert.

« L’augmentation des salaires a permis à nos hôpitaux de recruter », confirme François Crémieux à Marseille. « Mais on ne pourra pas continuer si le budget des hôpitaux est gelé en 2025 », met-il en garde. Il veut « convaincre qu’il faut impérativement soutenir les tarifs hospitaliers, et régler le problème des hôpitaux les plus endettés ». Car ceux-ci sont aussi victimes de la hausse des taux d’intérêt : « Nos frais financiers en 2024 s’élèvent à 35 millions d’euros », précise Marie-Anne Ruder, directrice générale adjointe de l’AP-HM.

Sur la dette, encore des promesses non tenues
En 2019, l’hôpital était en ébullition, engagé dans un grand mouvement social porté par les urgences. Le premier ministre d’alors, Édouard Philippe, et la ministre de la santé, Agnès Buzyn, avaient ainsi répondu avec un « plan inédit pour l’hôpital ». Sa mesure phare : « 10 milliards d’euros de reprise de dette », soit le tiers des 30 milliards d’euros de dettes des hôpitaux. Puis avec le Ségur, c’est la moitié qui devait être reprise. Fin 2024, rien n’a bougé, la dette est à l’identique. Le ministère de la santé communique le chiffre de 30,1 milliards d’euros en 2023, qui « démontre une certaine stabilité, » plaide-t-il. Pour la Cour des comptes au contraire, « un tel niveau d’endettement fait exception parmi les établissements publics de l’État ».

Les choses sont en réalité plus complexes, confient en off des spécialistes du secteur. L’État n’a pas réellement repris les dettes des hôpitaux, mais leur a versé des aides à l’investissement leur permettant de ne pas se ré-endetter.

Mais tous comptes faits par la Cour des comptes, ce n’est pas un tiers ni la moitié de la dette qui été reprise, ou versée sous forme d’aides, mais plutôt 6 milliards d’euros, ce qui « équivaut à 20 % de l’encours de leur dette financière en 2021 ».

François Crémieux, le directeur des hôpitaux marseillais, confirme qu’ils ont bien reçu « des aides de 640 millions d’euros qui ont permis d’investir dans [leurs] établissements qui sont très vieillots ». Mais il met en garde : « On aura décaissé cette enveloppe budgétaire en 2029. Nous ne pouvons pas nous projeter au-delà. »

Caroline Coq-Chodorge