L’hôpital

Mediapart : Primes JO : le double standard entre les forces de l’ordre et les hospitaliers

Juillet 2024, par infosecusanté

Mediapart : Primes JO : le double standard entre les forces de l’ordre et les hospitaliers

Pour les forces d’ordre, la prime des Jeux olympiques est attribuée selon des critères clairs, sans distinctions hiérarchiques. La situation est toujours opaque pour les hospitaliers, traités de manière inéquitable selon les métiers.

Caroline Coq-Chodorge

25 juillet 2024

Dès le 30 janvier 2024, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a annoncé la couleur aux policiers et policières mobilisé·es pendant les Jeux olympiques (JO). Ils et elles n’auront que deux semaines de vacances cet été. Mais avec des contreparties : tous et toutes, quels que soient leurs responsabilités et leur lieu d’affectation, bénéficient d’une prime de 1 000 euros ; cette prime est portée à 1 600 euros pour celles et ceux travaillant dans l’un des départements où se déroulent des épreuves, et à 1 900 euros si le poste est pris en Île-de-France. Pour soulager les pères et mères de famille, des solutions de garde d’enfants leur sont proposées.

Le 25 juillet 2024, veille de la cérémonie d’ouverture, les hospitaliers et hospitalières ne comprennent toujours pas les règles d’attribution de leurs primes JO. Aux urgences de Necker, à Paris, « même [les] cadres sont gênés », témoigne une aide-soignante des urgences, qui assure s’exprimer « au nom de l’équipe ». L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) – qui regroupe 38 hôpitaux en Île-de-France – dément : « Les discussions avec l’équipe ont abouti et ont permis de vérifier que les situations individuelles correspondaient bien aux critères d’attribution de la prime. »

Les hospitaliers et hospitalières sont aussi largement mobilisé·es en Île-de-France, car « 1 300 lits supplémentaires sont ouverts par rapport à un été normal », indique l’AP-HP. Il faut donc trouver des soignant·es pour les « armer ». Joran Jamelot, syndicaliste CGT à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), à Paris, assure que les agent·es font l’objet de pressions de leur hiérarchie : « Il n’y a pas de note officielle, mais les cadres poussent à ne pas prendre de vacances pendant les JO. » À l’hôpital Necker, à Paris, « les congés d’été sont limités à deux semaines, pour tout le monde », selon Marie-Rita Pokoudiby, également de la CGT.

Dans un courrier daté du 30 avril, le ministère de la santé a arrêté des règles cumulatives pour avoir droit à ces primes : prendre moins de trois semaines de congé entre le 1er avril et le 31 août ; travailler « au moins l’équivalent d’une obligation de service hebdomadaire », soit 35 heures en une semaine, « entre le 22 juillet et le 11 août » ; appartenir à un service jugé prioritaire.

Ces services prioritaires ont été précisés par l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France le 22 mai : près de vingt spécialités, dont les urgences, les Samu, les blocs opératoires, la réanimation, la pédiatrie, les unités neuro-vasculaires, etc.

Si tous ces critères sont remplis, alors des primes seront versées aux soignant·es. Mais à la différence des forces de l’ordre, elles sont différenciées selon les métiers : 2 500 euros pour les médecins, 1 200 euros pour les agent·es de catégorie A, 1 000 euros pour les catégories B ; 800 euros pour les catégories C.

Une aide-soignante à Necker, en catégorie C, estime que « c’est discriminatoire et très flou. Les primes auraient dû être partagées, au même niveau, entre tous les personnels qui travaillent pendant les JO, comme pour les forces de l’ordre ».

Les JO vont-ils creuser la dette des hôpitaux ?
Autre question cruciale : ces primes JO, auxquelles s’ajoutent le paiement d’heures supplémentaires et le recours à des vacataires aux confortables salaires, vont-elles peser sur le budget des établissements ? L’AP-HP affirme avoir obtenu que l’enveloppe budgétaire allouée par l’État couvre « le montant des primes avant le début des Jeux. Il pourra, à l’issue, y avoir des ajustements ».

Le centre hospitalier de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ne bénéficie pas des mêmes largesses : il doit recevoir une « enveloppe maximale » de 949 664 euros exactement, précise l’ARS Île-de-France dans un courrier adressé au directeur. Stéphane Degl’Innocenti, syndicaliste Sud, rappelle que l’hôpital a déjà accumulé « plus de 20 millions d’euros de déficit en 2023, parce que l’hôpital est sous-financé », et que « les augmentations de salaire accordées par le Ségur n’ont pas été financées ». Pour le syndicaliste, il y a donc tout lieu de craindre que les JO creusent encore la dette de l’hôpital. Le directeur de l’hôpital de Saint-Denis n’a pas répondu à nos questions, notamment sur ce point.

Ces incertitudes, et ce sentiment d’injustice, s’ajoutent aux difficultés persistantes de l’hôpital public. Mobilisé pour les Jeux, le centre hospitalier de Saint-Denis, un des plus proches des sites olympiques au nord de l’Île-de-France, est pourtant peu accessible depuis la fermeture de bretelles des autoroutes A86 et A1, contraignant les soignant·es et les patient·es en voiture à de longs détours, non sans risques, notamment pour les femmes sur le point d’accoucher qui doivent rejoindre une des plus grandes maternités de France.

Sont par ailleurs actuellement en grève plusieurs services de l’hôpital Necker (celui des enfants) et de l’Hôpital européen Georges-Pompidou, un des trois hôpitaux de l’AP-HP particulièrement mobilisés pendant les JO. Ces services en grève – des urgences au bloc – réclament une équité dans le versement des primes, mais aussi le respect des congés annuels, des repos et de la vie privée, perturbés par les rappels pour remplacer les absences dans des équipes aux effectifs insuffisants, la titularisation des personnels en CDD, etc. Autant de revendications habituelles.

Ces grèves n’auront pas de conséquences sur le service rendu à la population et aux visiteurs et visiteuses : comme à l’accoutumée, les hospitalières et hospitaliers grévistes sont réquisitionnés.

Caroline Coq-Chodorge