Le parquet de Nanterre a lancé mardi une perquisition simultanée dans des dizaines d’établissements Orpea, dans plusieurs régions, dans le cadre de l’enquête ouverte contre Orpea pour des soupçons de « maltraitance institutionnelle ». Des dizaines de familles de résidents ont déposé plainte, notamment pour « homicide involontaire » ou « mise en danger de la vie d’autrui ».
Yann Philippin et Caroline Coq-Chodorge
15 novembre 2022 à 12h17
La justice a lancé une opération coup de poing contre le géant français des Ehpad Orpea. Les gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), assistés en régions par plusieurs services d’enquêteurs, ont lancé, ce mardi matin, une perquisition simultanée de plusieurs dizaines d’établissements du groupe, selon une information de Mediapart, qui nous a été confirmée de source judiciaire.
Les enquêteurs, qui avaient déjà perquisitionné le siège d’Orpea le 8 juin dernier, agissent dans le cadre de l’enquête préliminaire pour « maltraitance institutionnelle » menée par le parquet de Nanterre, sur le fondement de plusieurs dizaines de plaintes de familles de résident·es pour « mise en danger de la vie d’autrui », « non-assistance à personne en danger », « homicide involontaire » et « violence par négligences », déposées après la parution du livre enquête Les Fossoyeurs, du journaliste Victor Castanet.
Le géant des maisons de retraite est déjà cerné par plusieurs procédures judiciaires, déclenchées à la fois par le livre de Victor Castanet et des enquêtes de Mediapart et Investigate Europe.
L’une des enquêtes menées à Nanterre porte sur des suspicions de « faux et usage de faux, et infraction à la législation sur le travail en recourant abusivement à des contrats à durée déterminée », et avait été ouverte en février dernier. À la suite d’un signalement du gouvernement, elle a été élargie à des soupçons de « détournement de fonds publics » (lire nos révélations ici et là).
Une enquête pour « abus de biens sociaux » a par ailleurs été ouverte, à la suite d’une plainte déposée cette fois par Orpea, à l’occasion d’une enquête de Mediapart et Investigate Europe. Nous avons en effet révélé qu’Orpea s’est appuyé, dans la plus grande discrétion, sur une société luxembourgeoise nommée Lipany, qui a récupéré 92 millions d’euros d’actifs dans quatre pays européens, dont la France. Et notre article montrait que Lipany a mené plusieurs opérations financières douteuses avec Orpea.
En Italie, deux structures ont été mises en cause dans des affaires d’évasion fiscale et de fraude aux financements publics. En France, Lipany a aidé Orpea à couvrir le versement d’une commission occulte de 700 000 euros à un intermédiaire, tandis que quatorze sociétés détenues par les deux groupes revendiquent dans leurs comptes officiels un avantage fiscal auquel elles n’ont pas droit. Orpea nous avait confirmé, avant publication, que « certains des faits » que nous lui avions soumis venaient de faire l’objet d’une plainte pénale pour « abus de biens sociaux » adressée au procureur de Nanterre.
Les perquisitions de ce jour viennent encore assombrir la situation du premier groupe d’Ehpad mondial, et le second en France. Depuis le début de l’année 2022, une trentaine de cadres ont été remerciés, dont l’ancien directeur général Yves Le Masne. Deux directeurs généraux se sont depuis succédé.
Orpea fait également face à de grandes difficultés financières. Sous le poids d’une dette de 9,5 milliards d’euros, il a annoncé le 26 octobre qu’il pourrait manquer de liquidités dès le début de l’année 2023. Pour parer à un défaut de paiement, Orpea a ouvert une procédure amiable de conciliation avec ses créanciers pour tenter de restructurer sa dette.
Ces perquisitions interviennent le jour même de la présentation par le groupe de son nouveau plan de transformation intitulé « Orpea change ! Avec vous et pour vous ». Le groupe affirme vouloir se recentrer sur ses collaborateurs, qu’il a le plus grand mal à recruter, et la qualité des soins. Pour restaurer sa situation financière, Orpea compte aussi céder une partie de son parc immobilier.
Yann Philippin et Caroline Coq-Chodorge