Mediapart : Sécurité sociale : en commission, les députés ont dépecé le « budget des horreurs »
De nombreuses mesures d’économies, visant les Français les plus modestes, ont été supprimées. Le décalage de la réforme des retraites a été voté. Mais les recettes manquent et l’austérité se confirme pour l’assurance-maladie. Nouveau débat la semaine prochaine.
Caroline Coq-Chodorge
1 novembre 2025
Si le budget de la Sécurité sociale se jouait en commission des affaires sociales, il n’en resterait plus rien. Les député·es chargé·es de cette pré-lecture du texte en ont rejeté toutes les parties en une semaine de débats, du lundi 27 au vendredi soir 31 octobre. De tous les groupes, dont les macronistes d’Ensemble pour la République, ont fusé des critiques sur un texte « pas brillant », « ni fait ni à faire », écrit « dans la précipitation », « un musée des horreurs ».
Le premier ministre Sébastien Lecornu a lui-même annoncé revoir drastiquement la copie, en biffant les mesures qui font les poches des Français, et d’abord celles des plus pauvres : le gel des minima sociaux et des pensions de retraite. C’est une concession qu’il a faite à la suite du rejet, en fin d’après-midi, de la taxe Zucman.
Vendredi, les débats sur les deux projets de budget, celui de l’État (305 milliards d’euros) et celui de la Sécurité sociale (665 milliards d’euros), se sont en effet télescopés. En fin d’après-midi, des parlementaires couraient d’un côté à l’autre du Palais-Bourbon pour voter sur la taxe Zucman, examinée dans l’hémicycle dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), puis poursuivre l’examen en commission du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Car tout tient d’un bloc, lézardé de toutes parts. Dans la cohue qui a suivi le rejet de la taxe Zucman, Sébastien Lecornu a demandé aux ministres concernés de réunir des député·es de chaque groupe pour « essayer de se mettre d’accord sur les grands principes de l’atterrissage d’un texte pour la [Sécurité sociale] et pour le projet de loi de finances ». Le premier ministre espère que des compromis seront trouvés à l’abri des regards au cours du week-end.
CSG : gel abandonné, capital visé
L’article 6 est la première mesure d’économies à avoir été supprimée en commission. Il prévoit d’augmenter de 300 millions d’euros supplémentaires les recettes de CSG en gelant en 2026 les seuils de revenus à partir desquels s’appliquent des taux réduits ou nuls. Le socialiste Jérôme Guedj a calculé que « 100 000 retraités » seraient mis à contribution et que « la hausse moyenne de leur CSG [serait] de 3 000 euros par an à partir de 2026 ». Anaïs Belouassa-Cherifi (La France insoumise, LFI) a fait le calcul pour « un retraité percevant 1 070 euros par mois : en 2025, il était exonéré [de CSG] ; en 2026, il devra payer 550 euros par an ».
« Il va bien falloir s’entendre sur des recettes nouvelles », a prévenu Jérôme Guedj. La gauche en a arraché une seule, à l’initiative du Parti socialiste (PS) et de La France insoumise : une hausse de 1,4 point de la CSG sur « le capital », soit le patrimoine et les produits de placement. Elle rapporterait 2,7 milliards d’euros. C’est une concession que le groupe macroniste Ensemble pour la République, qui s’est abstenu au moment du vote, est prête à faire. Sébastien Lecornu l’a confirmé vendredi soir.
La question des recettes se pose aussi, de façon cruciale, à propos des retraites. Car l’article 45 bis, qui introduit le décalage de la réforme, a été adopté, sans les voix de LFI. « La seule chose qui est suspendue, c’est le courage politique et le respect des Français », a fustigé Hadrien Clouet. Il affirme qu’« il y a une majorité à l’Assemblée pour abroger la réforme des retraites ». Les écologistes se sont abstenus. L’article a été largement adopté, avec les voix du RN, des macronistes et du PS.
Le rapporteur Thibault Bazin a indiqué le coût de la mesure, revu à la hausse : « 400 millions en 2026 et 1,8 milliard d’euros en 2027 ». « Où trouver les recettes ?, s’est-il interrogé. Tout reste à faire et à écrire. »
Chercher les recettes
Car pour financer ce décalage de la réforme des retraites, le gouvernement avait introduit in extremis deux nouvelles sources de recettes.
La première est la hausse des taxes sur les complémentaires santé. Initialement, elle était de + 2,05 %, avant d’être renchérie à + 2,25 %, soit 1,2 milliard d’euros supplémentaires pour les caisses de la Sécurité sociale. « Taxer les mutuelles, c’est taxer les patients, de 8 à 10 euros de plus mois », a estimé le communiste Yannick Monnet, qui dénonce « une très grande hypocrisie, teintée d’un petit peu de lâcheté ».
Elles sont finalement épargnées dans cette nouvelle version du budget votée en commission.
Une nouvelle taxe sur les tickets-restaurants et les chèques-vacances a également été supprimée. « On va chercher les plus pauvres, les plus précaires, pour lesquels ces tickets et ces chèques sont un moyen de manger et de partir en vacances », a argumenté Sandrine Rousseau pour les Écologistes.
Se sont ensuivis de très nombreux amendements, à l’initiative des partis de gauche, de LFI au PS, proposant en compensation de nouvelles taxes : sur l’industrie pharmaceutique, les groupes d’Ehpad lucratifs, les cliniques, les fonds de pension, les dividendes, les entreprises qui ne respectent pas l’égalité femmes-hommes, celles dont les salarié·es ont beaucoup d’arrêts de travail, etc. Le Rassemblement national (RN), entre autres, a moqué « une gauche très inventive pour taxer à tour de bras », selon Christophe Bentz.
Mais quelques majorités ont été trouvées sur des taxes qui visent à modifier les comportements. Un amendement de LFI, adopté, conditionne les aides apportées au secteur agricole à des critères sociaux : un logement digne pour les travailleurs saisonniers, leur protection lors de canicules, la prise en charge des frais de transport des salarié·es, etc. Une hausse de la fiscalité de nouvelles boissons, comme le Vody – boisson énergisante à base de vodka – a été votée. La « taxe soda » a été élargie à toutes les boissons dans lesquelles il y a du sucre ajouté, y compris les jus de fruits.
La hausse des franchises supprimée
C’est une autre « horreur » de ce budget : l’article 18 prévoit de doubler les montants et les plafonds des franchises médicales, comme le prévoyait déjà le gouvernement Bayrou avant sa censure en septembre. Ce gouvernement veut en prime les étendre aux actes et consultations des dentistes.
Tous les député·es de la commission ont voté contre cet article 18, à l’exception des macronistes. Pour Hendrik Davi (ex-LFI), « ce n’est pas une responsabilisation des patients mais un impôt déguisé ».
L’article 24 du projet de loi est une mesure d’économie soutenue cette fois par les député·es : il s’intéresse aux secteurs financés par l’assurance-maladie « à la rentabilité excessive », par exemple la radiologie. Il autorise l’assurance-maladie à décider de baisses de tarifs. La commission a cependant protégé « le secteur public et privé non lucratif ».
Les médecins libéraux sont aussi visés par un amendement du député Les Républicains (LR) Thibault Bazin, qui reprend une proposition de l’assurance-maladie. En France, 927 médecins se sont déconventionnés de l’assurance-maladie : ils fixent librement le tarif de leurs consultations, qui ne sont presque plus remboursées aux patient·es par l’assurance-maladie. Mais leurs prescriptions restaient remboursées. Les parlementaires de la commission souhaitent qu’elles ne le soient plus.
Économies sur les arrêts de travail
Le gouvernement veut mettre fin à la hausse des arrêts de travail. Selon l’assurance-maladie, une partie de cette dynamique est portée par les arrêts de travail des assuré·es sous le régime des affections de longue durée (ALD) dites « non exonérantes ». Parmi celles-ci, il y a beaucoup de dépressions légères (33 %) et de troubles musculo-squelettiques (32 %).
Ces malades ne sont pas remboursé·es à 100 % (comme pour les autres ALD) mais peuvent bénéficier de 1 095 jours d’indemnités journalières sur trois ans, comme toute personne en ALD. L’article prévoit que ces personnes entrent dans le droit commun et bénéficient au plus de 360 jours d’indemnités journalières sur trois ans.
L’article a été adopté, malgré les critiques à gauche. « On assiste à une explosion des dépressions, des troubles musculo-squelettiques, rappelle Danielle Simonnet (écologiste, ex-LFI). Il faudrait se demander pourquoi. Mais vous, vous préférez vous demander comment moins bien prendre en charge ces personnes... »
Des mesures d’économies sur les médicaments ont fait consensus. L’article 32 prévoit de re‑dispenser des médicaments non utilisés en établissement de santé mais aussi ceux de la réserve sanitaire avant leur péremption. Les député·es ont également voté pour une distribution à l’unité des médicaments, comme au Royaume-Uni et au Portugal. Selon la Cour des comptes, l’équivalent de 1,7 milliard d’euros de médicaments est jeté chaque année, notamment parce que les boîtes contiennent plus de médicaments que nécessaire.
Contre toute attente, il y a aussi des droits nouveaux dans ce texte. Un congé supplémentaire de naissance, d’un ou deux mois, pourrait être indemnisé, en plus des actuels congés de maternité et de paternité. Cet article renvoie à un engagement du président de la République pour lutter contre la baisse de la natalité.
Le budget des « horreurs »
Autre « horreur », l’article 38 a été supprimé. Il prévoyait des économies au détriment des personnes âgées bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et des personnes bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
« Le Mozart de l’austérité », selon l’écologiste Danielle Simonnet, revient à l’article 44, de très loin. Le gouvernement prévoit de geler en 2026 les minima sociaux : le RSA, le minimum vieillesse ou encore l’AAH n’augmenteraient pas avec l’inflation. « Pour une personne seule au RSA, c’est une perte de 80 euros par an », a calculé Danielle Simonnet.
L’article comprend aussi le gel des pensions de retraite. L’écologiste Sandrine Rousseau a fustigé « le gouvernement, qui a la main sur le cœur pour ne jamais prendre un euro aux plus riches, avec les arguments les plus fallacieux. Mais il n’a jamais la main qui tremble quand il faut enlever des euros aux plus pauvres ».
Les député·es de la commission ont voté la suppression de l’article. Quelques minutes plus tard, Sébastien Lecornu indiquait qu’il abandonnait ces mesures d’économie.
L’austérité pour la santé
À l’article 49 se trouve un tableau détaillant l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam). Il est en hausse de 1,6 %, un taux historiquement bas. Car les dépenses d’assurance-maladie augmentent naturellement de 4,5 % par an, portées par le vieillissement de la population et le progrès technique.
« Il va manquer 1,1 milliard d’euros pour l’hôpital, soit 20 000 postes d’infirmières », a rappelé le député LFI Damien Maudet.
À la fin de l’examen, les député·es se sont congratulé·es d’être parvenu·es au bout du texte, avec quelques moments de tension, mais sans s’écharper. Le répit sera de courte durée : l’examen du PLFSS débute dans l’hémicycle mardi 4 novembre.
Caroline Coq-Chodorge