Alternatives Economiques : Avec son contre-budget pour 2026, le RN défend une austérité XXL
LE 24 OCTOBRE 2025
Le Rassemblement national veut faire 36 milliards de coupes supplémentaires par rapport au gouvernement et s’aligne sur la politique de l’offre d’Emmanuel Macron, qu’il souhaite amplifier.
Par Christian Chavagneux
Si vous n’aimez pas l’austérité du Premier ministre, Sébastien Lecornu, vous aimerez encore moins celle que souhaite le Rassemblement national (RN) dans sa proposition de contre-budget 2026. Il a fallu attendre la fin de la conférence de presse de présentation, ce 23 octobre, pour que le député Jean-Philippe Tanguy donne le résultat de toutes les mesures annoncées : alors que le projet de budget du gouvernement prévoit de réduire le déficit à 143 milliards d’euros pour l’an prochain, celui du RN le met à 107 milliards, soit une différence de 36 milliards. Dit autrement, c’est 1,2 point de produit intérieur brut (PIB) d’austérité supplémentaire que réclame le RN.
Un effort drastique, qui est loin d’être réparti équitablement. Fidèle à la stratégie de rapprochement avec les patrons mise en œuvre ces derniers temps par le RN, cet ajustement est réalisé tout en poursuivant la politique de l’offre d’Emmanuel Macron. Les entreprises sont donc épargnées, sauf le secteur de la finance, qui est le seul à subir les foudres fiscales du RN. Et, dans le même temps, le parti promet des baisses d’impôts pour les ménages. C’est donc la puissance publique qui va porter la rigueur voulue par le RN.
Haro sur les dépenses
Il subsiste une incertitude quant aux chiffres fournis par le RN. Par exemple, le parti d’extrême droite propose de sabrer les dépenses publiques de 57 milliards d’euros, un total correspondant, selon sa présidente Marine Le Pen, à des « mauvaises dépenses ». Mais comme les résultats sont présentés en variations par rapport au projet de budget du gouvernement, est-ce que ces 57 milliards s’ajoutent aux 16 milliards proposés par Sébastien Lecornu, le Premier ministre ? La réponse n’est pas claire. Ce qui l’est, en revanche, c’est le niveau extrême d’austérité que promeut le RN.
Quelles sont les « mauvaises » dépenses considérées ? D’abord celles de la protection sociale destinée aux immigrés, évaluées à 12 milliards d’euros, qui seraient supprimées. Les juristes débattront de la validité constitutionnelle de telle ou telle mesure, mais l’objectif est clair : il consiste à taper dans la protection sociale.
Fidèle à son positionnement antieuropéen, le parti réduirait également la contribution française à l’Union européenne de 8,7 milliards, en gros un tiers de la contribution actuelle, c’est énorme.
Par ailleurs, le RN reprend l’antienne libérale selon laquelle il serait possible de faire des économies en mettant fin à la « gabegie » de l’Etat. A combien se monte ce trésor caché ? A 7,7 milliards d’euros, répond le parti d’extrême droite. Ajoutez-y une baisse de l’aide au développement de 2,4 milliards, une baisse des subventions aux associations accusées par le RN de ne pas servir l’intérêt public (l’hébergement d’urgence à titre d’exemple…) pour 3,2 milliards1, et 5 milliards en moins de dotations aux régions et aux intercommunalités, et vous avez le plus gros de la baisse, énorme, des dépenses.
Encore plus de politique de l’offre
Et bien qu’il se targue de sérieux budgétaire, le RN n’est pas à une contradiction près. En témoigne sa volonté de persévérer dans la voie macroniste des baisses d’impôts, malgré la situation dangereuse des finances publiques françaises.
Les entreprises bénéficieraient d’une baisse des impôts de production immédiate de 16,2 milliards d’euros. Autant d’argent jeté par la fenêtre sur le plan macroéconomique, comme vient de le montrer une note de l’Institut des politiques publiques : la précédente baisse de 10 milliards de ces impôts n’a eu aucun effet sur l’investissement, l’emploi et les exportations. Mais pourquoi abandonner une politique qui échoue ?
Toutes les entreprises ne sortent pas gagnantes du projet de budget du RN. Entre une imposition supplémentaire des rachats d’actions (8,4 milliards), une augmentation de la taxe sur les transactions financières (3 milliards) et une taxe sur les superdividendes (1,3 milliard), voici près de 13 milliards ponctionnés sur le monde de la finance, qui n’a visiblement pas l’air de plaire au RN.
Ne pas toucher aux riches
Peut-on compenser le coût de ces baisses d’impôts en taxant les plus fortunés ? Le RN a voté contre la taxe Zucman à l’Assemblée nationale, en reprenant à son compte l’argument du Medef qui s’oppose à la taxation « des biens professionnels ». En clair, le RN comme les patrons refusent de taxer les holdings patrimoniaux des très aisés.
A l’image du gouvernement, le parti se sent néanmoins obligé de répondre à la volonté de justice fiscale de l’opinion, montrée par les sondages. Pour ce faire, il met en avant sa proposition habituelle d’un impôt sur la fortune financière, censé rapporter 4 milliards d’euros. Un rendement bien inférieur à la taxe Zucman. On n’embête pas les riches…
Le reste des ménages se voit attribuer des baisses d’impôts de 25 milliards, passant surtout par des baisses de TVA sur l’énergie (11 milliards) et sur les produits de première nécessité (3,5 milliards). Mais il faut retirer à tout cela la suppression des prestations sociales de 12 milliards à destination des immigrés : le ticket de caisse n’exerce pas de contrôle au faciès et, pour en rester à un raisonnement purement d’ordre économique, c’est autant de perdu pour les revenus des ménages.
Enfin, le RN affiche aussi une hausse des dépenses, destinée à soutenir l’économie, dont l’essentiel passe par le non-gel des prestations sociales du budget Lecornu pour 3,6 milliards, et le retour de l’âge légal de retraite à 62 ans, pour 1,5 milliard.
Le plan annoncé tente un début de bouclage macroéconomique, en évaluant par exemple les effets positifs de la suppression des impôts de production, qui accroît les profits, et donc améliorerait les recettes de l’impôt sur les bénéfices, ou encore sur l’impact des baisses de TVA. Mais pas d’estimation des effets de la baisse drastique des dépenses publiques.
Avec un tel budget, une économie en récession
Les économistes de l’OFCE ont estimé que le budget Lecornu amputerait la croissance de 0,8 point de PIB en 2026. L’austérité supplémentaire préconisée par le RN ferait perdre plus à l’économie, avec autant de recettes fiscales en moins. « Comment penser que cette politique budgétaire n’aurait aucun impact sur la croissance ? », estime ainsi Eric Heyer, directeur du département analyses et prévisions de l’OFCE. « Le budget du RN placerait l’économie française en récession. »
Les économistes estiment que le budget Lecornu amputerait la croissance de 0,8 point de PIB en 2026. L’austérité préconisée par le RN ferait perdre encore plus à l’économie
Au final, Marine Le Pen a bien indiqué dans son intervention que ses propositions arrivaient dans « un contexte gravement dégradé », en particulier en matière de finances publiques, puisque « le déficit budgétaire reste hors de contrôle ».
Mais sa solution consiste, dans la droite ligne d’Emmanuel Macron, à continuer les baisses d’impôts et à réduire le déficit par une austérité encore plus dure que celle du projet du gouvernement. Un contre-budget, en somme, qui ferait mal à l’économie française, aux emplois et détruirait une partie du tissu social.
Christian Chavagneux