Environnement et facteurs dégradant la santé

Mediapart : Travailler sous la canicule : rien n’est prêt, chacun se débrouille

il y a 1 semaine, par infosecusanté

Mediapart : Travailler sous la canicule : rien n’est prêt, chacun se débrouille

L’impréparation des pouvoirs publics face aux vagues de chaleur oblige travailleurs et parents d’élèves à chercher des solutions d’urgence pour éviter les drames.

Cécile Hautefeuille

1 juillet 2025

1 juillet 2025 à 08h28

Le gouvernement n’a tellement rien à dire face à cet épisode de canicule précoce et durable que les services de Matignon en sont à informer que François Bayrou suit « en temps réel la situation météorologique ». Et même, qu’il a annulé un déplacement pour rester attentif à la situation.

Une situation franchement critique. Seize départements ont basculé mardi 1er juillet en vigilance rouge canicule, avec un « pic caniculaire très fort mardi et dans la nuit de mardi à mercredi » notamment sur le bassin parisien, précise Météo France. Soixante-huit autres départements restent en orange. Les régions méditerranéennes, écrasées sous un « dôme de chaleur » depuis le week-end précédent, pourraient voir cet épisode perdurer encore toute la semaine.

Pour les travailleuses et travailleurs, un décret entre justement en vigueur ce 1er juillet et fait peser de nouvelles obligations sur les employeurs en cas d’épisodes de forte chaleur. Ils doivent désormais en évaluer les risques et adapter les horaires, suspendre les tâches pénibles aux heures les plus chaudes ou encore mettre à disposition un minimum de trois litres d’eau fraîche par jour aux salarié·es.

Les postes de travail devront aussi être aménagés « par des dispositifs filtrants ou occultants, de la ventilation ou de la brumisation ».

Selon ce décret, plus la vague de chaleur est intense, plus la protection des personnes doit être renforcée. Si l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) estime que la chaleur peut constituer un risque pour les salarié·es « au-delà de 30 °C pour une activité sédentaire, et 28 °C pour un travail nécessitant une activité physique », le décret se garde bien d’évoquer un quelconque seuil de température.

Timide, le texte représente toutefois une légère avancée puisque la loi était jusque-là peu contraignante concernant les épisodes de canicule. Reste à voir s’il sera correctement appliqué, d’autant que l’inspection du travail n’a toujours pas le pouvoir de faire cesser le travail en cas de danger immédiat, lié à la chaleur.

Dans certaines entreprises, comme à La Poste en région Nouvelle-Aquitaine, cela semble mal engagé. « Malgré ces nouvelles obligations légales, La Poste ne met pas grand-chose en place », s’indigne le syndicat Sud PTT, qui dénonce l’insuffisance d’eau, des tournées ou des chargements de colis maintenus à des heures brûlantes et l’absence d’équipements voués à amortir les effets du soleil en intérieur.

Mesures « ridicules »
Le syndicat vient de déposer une alerte pour « danger grave et imminent », désormais entre les mains de l’inspection du travail, et dénonce une absence totale d’anticipation de l’employeur, alors que le décret est paru fin mai. « De toute façon, chaque été, c’est le même problème ! La direction n’a rien prévu malgré nos multiples relances », soupire Willy Dhellemmes, postier en Nouvelle-Aquitaine et délégué syndical Sud.

« Le plus choquant, poursuit le syndicaliste, c’est que la direction n’est même pas capable de nous assurer que chaque facteur, chaque factrice, aura au moins une gourde isotherme pour disposer d’eau fraîche et potable lors des tournées. » Selon lui, quand elles sont distribuées, ces gourdes sont bien trop petites et certaines directions locales conseillent « d’aller les remplir dans les cimetières ».

Sollicitée par Mediapart, La Poste assure avoir pris « plusieurs mesures adaptées au niveau de vigilance de Météo France et aux spécificités de chaque site » et cite notamment la « distribution de gourdes et sacs isothermes pour tous les postiers [et] la mise à disposition de fontaines à eau réfrigérées sur les sites » ou encore « l’aménagement des horaires de travail ».

Insistant sur le comportement « honteux » de l’employeur, Sud PTT Aquitaine raille à ce sujet des aménagements « complètement cons ». « À Pessac, en Gironde, la direction permet d’embaucher… dix minutes avant l’heure prévue !, souligne Willy Dhellemmes. Dans l’absolu, c’est un bon système de démarrer plus tôt, mais dix minutes, c’est ridicule. En plus, le système est prévu pour fonctionner seulement si tous les employés sont d’accord. »

Il prévient : « Si la direction ne met rien en place, et c’est plutôt le cas pour l’instant, on envisage très sérieusement de les assigner en référé au tribunal judiciaire de Bordeaux pour les contraindre. C’est la seule voie légale, on ne va pas attendre que quelqu’un meure. »

Ça monte facilement à plus de 50 °C.

Une conductrice de bus
En 2024, la direction générale du travail a décompté au moins sept morts de travailleurs pendant l’été en raison d’une exposition à la chaleur. Cette année, le 20 juin, un ouvrier du bâtiment de 50 ans est mort en Gironde, à la suite d’un malaise sur un chantier, qui pourrait être dû à la chaleur.

Un tel drame, c’est aussi ce que redoutent les conductrices et conducteurs de cars scolaires dans les Pyrénées-Orientales, département où les températures ont dépassé 40 °C dès la semaine du 23 juin. Un tiers des bus de la société Keolis GEP Vidal ne sont pas équipés de climatisation, comme le relate la radio Ici Roussillon (ex-France Bleu), et des salarié·es n’ont eu d’autre recours que de lancer une pétition pour tenter de la rendre obligatoire.

Une conductrice, qui requiert l’anonymat, décrit des conditions de travail infernales, dans des bus où « ça monte facilement à plus de 50 °C ». « On avait déjà alerté il y a déjà trois ans parce qu’on a déjà eu des canicules en juin 2019 et juin 2022, où il a fait plus de 40 °C », insiste-t-elle.

En vain, pour le moment. Interrogées par Ici Roussillon, la région Occitanie et l’entreprise n’envisagent pas de modifier leurs pratiques. La première n’entend pas imposer la climatisation comme critère dans les appels d’offres et la seconde assure faire le nécessaire pour ses salarié·es. Une pause de quinze minutes supplémentaires leur a été accordée avec du temps « pour aérer leur véhicule ».

Un pansement sur une jambe de bois, selon la conductrice : « On doit ouvrir les portes et les fenêtres, mais comme l’air est chaud à l’extérieur, disons que ce n’est pas très efficace... », soupire-t-elle. « On se met de l’eau sur les cheveux, on mouille nos vêtements mais au bout de dix minutes, on est déjà secs », précise-t-elle encore.

Des parents attaquent la ville
Plus au nord, mais toujours sous l’infernal dôme de chaleur du sud de la France, une autre bataille s’est jouée à Montpellier. Menée cette fois par le collectif de parents d’élèves « Une école, un avenir », qui a déposé le 28 juin une requête en référé devant le tribunal administratif pour astreindre la ville à mettre en place des dispositifs permettant de faire baisser la température dans les classes.

Alors que plusieurs municipalités en France ont décidé de fermer les écoles – le ministère de l’éducation nationale a décompté 1 350 fermetures ce 1er juillet –, aucune annonce n’a été faite en ce sens à Montpellier, en vigilance orange depuis le 27 juin. « Ça monte jusqu’à 38 °C dans certaines écoles maternelles !, s’indigne Murielle Kosman, porte-parole du collectif. Il n’y a plus de cours donc on est clairement sur de la garderie en mode dégradé ! »

Auprès des parents, la municipalité dit avoir lancé en 2023 un plan d’adaptation des écoles aux fortes chaleurs, « afin de programmer 6 millions d’euros d’investissement chaque année pour la rénovation thermique ». Elle précise qu’à ce jour, « toutes les écoles sont dotées de brasseurs d’air (plafonniers) et de ventilateurs mobiles » et que « 83 écoles totalement dépourvues de salles climatisées ont été équipées d’une salle rafraîchie [...] permettant une rotation des enfants dans cet espace ».

Très insuffisant pour Murielle Kosman, qui précise que le référé porte sur trois principes : « Le droit à la santé, le droit à l’éducation et le principe d’égalité. » Le collectif a finalement été débouté par le tribunal et les arguments exposés sidèrent la mère de famille : « L’énoncé indique que nous avons le droit de dispenser nos enfants d’aller à l’école, c’est dans la lignée des arguments de [la ministre de l’éducation nationale] Mme Borne, selon qui personne ne nous tiendra rigueur de ne pas les y envoyer. »

La porte-parole du collectif fulmine. « Je suis très, très en colère. La ministre est fidèle à la politique de la responsabilité individuelle menée par les libéraux. C’est de l’irresponsabilité politique à tous les niveaux. La plus grosse canicule qu’on ait connue, c’était 2003. On est en 2025, on ne peut pas dire qu’on n’avait pas moyen d’anticiper ! »

Depuis 1947, la France a subi cinquante vagues de chaleur, dont plus de la moitié depuis l’an 2000. Mais force est de constater que le pays n’est pas prêt à faire face au chaos climatique.

Cécile Hautefeuille