France Info : Surveillante tuée par un collégien : "Ce ne sont pas les portiques qui vont détecter les souffrances des jeunes"
Écrit par Marine Rondonnier
Publié le 12/06/2025
Même si selon Denis Devallois, le procureur de la République de Chaumont, le garçon de 14 ans qui a poignardé la surveillante mardi 10 juin dans son collège à Nogent en Haute-Marne s’est montré "détaché, sans aucun signe évoquant un possible trouble mental pendant sa garde à vue", ce drame pose la question de l’accompagnement des adolescents en milieu scolaire et de leur santé mentale.
" Le fait que ce jeune de 14 ans tue de sang-froid cette jeune femme devant les gendarmes, c’est effrayant et (…) ça renvoie à d’autres sujets de santé mentale", a insisté Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, ce mercredi 11 juin, assurant que le gouvernement était "mobilisé pour détecter les signes de détresse psychologique ou de fragilité psychologique chez les jeunes".
Un manque criant de moyens humains
En France, il y a 900 médecins scolaires. Un pour 15 000 élèves. Concernant les infirmières scolaires, il y en a une pour 1 300 élèves quand l’OMS préconise une infirmière pour 500 élèves.
L’académie d’Orléans-Tours compte 343 infirmières pour 433 069 écoliers, collégiens et lycéens soit une infirmière pour 1262 élèves.
"ll faudrait au moins un service de santé scolaire digne de ce nom. Ce n’est pas que les élèves iraient mieux mais au moins on pourrait prendre en charge très tôt", explique Hélène Romano, psychologue spécialiste des traumatismes de l’adolescent. Cela fait des années que les infirmières scolaires demandent des renforts. Elles avaient manifesté dans ce but en 2023.
Mais le 18 janvier 2025, la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, jugeait "irréaliste le doublement des effectifs d’infirmières scolaires" après le dépôt d’un amendement par des sénateurs qui soulevait le problème du manque criant de personnels pour accompagner les jeunes dans les établissements scolaires.
"Pourtant si on avait ces moyens-là on pourrait faire de la prévention", annonce Hélène Romano. "Un élève comme celui de Nogent qui a déjà été renvoyé et qui a eu des mouvements très violents, en termes de prévention on pourrait plus tôt mettre des choses en places. Mais tant qu’on aura un service de santé scolaire aussi moribond il ne faut se plaindre que les repérages n’aient pas lieu".
Martine Rico, représentante de la fédération des parents d’élèves (FCPE) de l’Académie Orléans-Tours abonde : "On ne peut pas faire un travail basé sur les relations humaines sans donner du temps aux professionnels. Il faut des infirmières partout, des AED en nombre pour surveiller la cour et que tous les adultes de l’établissement soient formés à détecter les souffrances. Écouter ça prend du temps. Et le temps c’est ce qui manque dans les établissements scolaires," déplore-t-elle. Elle rappelle que les assistantes sociales et les infirmières partagent leur temps entre différents établissements. "Le portique ne va pas détecter si le jeune ne va pas bien dans sa tête. Et où vont-ils trouver l’argent pour ça ? Il faut quelqu’un qui surveille", souffle-t-elle.
Installer des portiques de sécurité et interdire la vente de couteaux ?
À la suite de ce drame survenu le 10 juin, le premier ministre, François Bayrou, a en effet souhaité que le gouvernement travaille à "l’expérimentation" de portiques de sécurité à l’entrée des établissements scolaires. Il a également assuré que le gouvernement allait interdire la vente aux mineurs de " tout couteau qui peut constituer une arme ".
"Si la seule réponse qu’on apporte au mal-être des adolescents c’est qu’on va mettre un portique, on ne va pas s’en sortir", s’étonne Hélène Romano. "C’est un effet d’annonce. C’est une fausse bonne idée. Ça ne va pas régler le problème. Ils ont des ciseaux et des couteaux à la cantine. En revanche, il faut essayer de comprendre pourquoi ce jeune est passé à l’acte à ce moment-là."
Martine Rico, représentante de la FCPE trouve "l’interdiction de vendre des couteaux aux mineurs" inutile. "Le jeune ne va pas attendre d’aller l’acheter. Il ira chercher un couteau à la maison. Et une fois qu’il sera pris avec son couteau en passant le portique si on n’a pas entendu sa souffrance, soit il recommencera ailleurs, soit il l’utilisera contre lui-même."
Interdire les réseaux sociaux avant 15 ans ?
Autre mesure proposée par l’exécutif : "interdire les réseaux sociaux avant 15 ans dans quelques mois", a annoncé Emmanuel Macron. Il s’agit de "protéger nos jeunes de la surexposition aux écrans, de la banalisation de la violence", a estimé Élisabeth Borne.
"Ce qui est regrettable c’est qu’on fait le constat que les adolescents sont dans des situations de passage à l’acte avec un couteau beaucoup plus impulsif, plus fréquents et plus violents. On accuse les réseaux sociaux, les parents. Mais au niveau sociétal, qu’est-ce qu’on leur propose à ces jeunes ? La responsabilité est celle des politiques et pas seulement celle des parents," s’insurge Hélène Romano, psychologue spécialiste des adolescents.
La psychologue préconise plutôt une éducation aux réseaux sociaux partagée entre les élèves, l’école et les parents. "Ce n’est pas l’écran en tant que tel qu’il faut diaboliser c’est plus l’usage. Qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on peut communiquer ou pas ? "
Les troubles anxieux plus importants
Selon Santé publique France, de mai 2020 à novembre 2022, le nombre d’adolescents ayant des symptômes dépressifs a doublé concernant jusqu’à un jeune sur quatre.
Bien avant le COVID, dès les années 2010, les spécialistes ont constaté que les enfants avaient des troubles anxieux qui normalement se retrouvent à l’adolescence. "C’est multifactoriel", constate Hélène Romano : "Les enfants sont confrontés aux discours insécurisants des adultes qui disent qu’il faut réarmer la France, que la Terre brûle. Par ailleurs, y a une insécurité sociale et familiale, les adultes ne vont pas très bien non plus. Donc le mal-être des adolescents mais aussi des enfants doit être écouté. "
Martine Rico, représentante de la fédération des parents d’élèves FCPE en Centre-Val de Loire constate que les élèves aujourd’hui supportent beaucoup de pressions. "Il y a ceux qui souffrent et qui se font du mal et ceux qui souffrent et qui règlent leurs problèmes tout seuls. Mais pourquoi on n’a rien vu avant ? On manque d’adultes bienveillants qui connaissent le jeune et à qui il peut se confier. Il y a trop de turn-over des personnels."
Des lieux d’écoute en dehors de l’école
Vu le manque de moyens humains dans les établissements scolaires, d’autres structures souvent méconnues existent pour accompagner les adolescents en souffrance. Les Maisons des adolescents, l’Espace santé jeunes à Tours, l’ASAP à Orléans.... Les adolescents peuvent venir se confier de façon gratuite et anonyme.
Le Fil Santé Jeunes est un service anonyme et gratuit à destination des jeunes de 12 à 25 ans qui propose une ligne d’écoute 0 800 235 236, accessible 7 jours sur 7 de 9h à 23h, et un site internet mettant à disposition de l’information, un forum, un tchat, et une orientation vers des structures d’aide (lieux d’accueil et d’écoute, maisons des adolescents, structures associatives, professionnels et structures de soins). Ces services sont dispensés par des professionnels (médecins, psychologues, éducateurs et conseillers).
Le 30 18 est le numéro national contre toutes les formes de harcèlement, y compris cyberharcèlement, concernant les jeunes, enfants et adolescents. Gratuit, anonyme et confidentiel, il est ouvert aux élèves, parents et professionnels 7 jours sur 7, de 9 heures à 23 heures pour tout renseignement ou signalement.