Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Le Monde.fr : La communication de la Fondation FondaMental épinglée pour embellissement de résultats scientifiques

il y a 1 semaine, par infosecusanté

Le Monde.fr : La communication de la Fondation FondaMental épinglée pour embellissement de résultats scientifiques

Dans une étude publiée le 28 mai, huit chercheurs et médecins contestent les arguments d’une proposition de loi visant à réaliser 18 milliards d’économies en généralisant à l’ensemble du territoire les Centres experts en psychiatrie pilotés par la fondation de droit privé FondaMental. Et mettent en cause l’organisme pour usage « trompeur » de données scientifiques à des fins de communication.

Par Stéphane Foucart

Publié le 03/06/2025

Dix-huit milliards d’euros par an d’économies pour la Sécurité sociale ! En pleine crise des finances publiques, ce chiffre spectaculaire est affiché par une proposition de loi déposée en février par le sénateur (LR) du Vaucluse Alain Milon et une douzaine d’autres parlementaires. Le texte assure que de telles économies sont possibles en généralisant à l’ensemble du territoire les Centres experts en psychiatrie pilotés par FondaMental, une fondation de droit privé créée en 2007 par des institutions publiques (CEA, AP-HP, Inserm, etc.). La consultation de ces structures par les personnes souffrant de maladies psychiatriques, lit-on dans la proposition de loi, permettrait en effet de réduire fortement leur taux d’hospitalisation – ce qui coûte le plus cher dans la prise en charge des troubles mentaux. L’investissement serait modique, les bénéfices formidables.

Dans une étude publiée le 28 mai par Social Science Medicine - Mental Health, huit chercheurs et médecins jugent cet espoir infondé. Selon eux, il est la conséquence de l’intense activité de plaidoyer de la Fondation FondaMental, portée par un usage discutable, voire « trompeur », de données scientifiques à des fins de communication. Conduits par le neurobiologiste François Gonon (CNRS, université de Bordeaux) et le psychiatre Florian Naudet (Institut de recherche en santé, environnement et travail, et université de Rennes), les auteurs ont passé en revue les déclarations publiques des cadres de la fondation et y retrouvent souvent l’affirmation – reprise par les sénateurs – selon laquelle le passage des patients par l’un de ses Centres experts en psychiatrie induit une baisse de 50 % des jours d’hospitalisation dans l’année qui suit.

En novembre 2023, par exemple, la fondation signe une lettre ouverte au ministre de la santé et aux parlementaires, dans laquelle elle assure que son dispositif a « déjà prouvé [son] efficacité en matière d’amélioration du pronostic des patients, avec une réduction de 50 % des réhospitalisations douze mois après un passage par un Centre expert ». Une mention mise en caractères gras dans le texte. La même affirmation est réitérée dans des communiqués de presse de la fondation, ou par des médecins et des chercheurs affiliés à elle lors d’auditions devant des parlementaires, dans des tribunes ou des entretiens à la presse – le dernier en date dans Le Monde du 24 mai.

« Pas de groupe témoin »
« La seule étude à l’appui de cette affirmation a été publiée en 2017 par des chercheurs de la Fondation FondaMental, dans la revue Bipolar Disorders, explique François Gonon. Mais ces travaux n’évaluent l’effet d’un passage par un Centre expert que sur les patients atteints de troubles bipolaires : il est scientifiquement injustifiable de généraliser ce résultat à l’ensemble des maladies psychiatriques prises en charge par ces structures, comme le fait la fondation dans ses activités de plaidoyer. » Seule une discrète note de pied de page dans un communiqué de presse publié en février 2024 sur le site de la fondation, mais ajoutée plusieurs mois après sa publication, cite une synthèse reprenant les résultats de 2017 et permet de faire la part des choses.

Une cinquantaine de Centres experts en psychiatrie sont aujourd’hui déployés par la fondation à titre expérimental, notamment dans des centres hospitaliers. Les médecins peuvent y adresser leurs patients afin de bénéficier d’un bilan pluridisciplinaire pour les troubles bipolaires, les dépressions résistantes, certains troubles autistiques et les schizophrénies. Ces Centres experts permettent également de recueillir quantité de données sur les patients, qui nourrissent de nombreuses publications scientifiques. Interrogée, la Fondation FondaMental assure que le dispositif est plébiscité par les malades, qu’il limite l’errance et que les bénéfices d’un diagnostic posé au plus tôt ne font pas débat.

Au point de produire des effets aussi spectaculaires qu’une baisse de moitié des hospitalisations après une seule visite dans ces structures ? L’étude de 2017 appuyant cette affirmation est loin d’apporter une preuve scientifique d’efficacité, estiment M. Gonon et ses coauteurs. « Les auteurs relèvent le taux d’hospitalisation de 984 patients au cours de l’année précédant leur passage dans un Centre expert, et les comparent avec le taux d’hospitalisation dans les deux ans qui suivent, explique Florian Naudet. Mais il n’y a pas de groupe témoin pour effectuer la comparaison. »

Pour le médecin et chercheur, spécialiste de l’évaluation de la qualité des preuves en médecine, « il est tout à fait possible que ces patients aient consulté un Centre expert à la suite d’une aggravation temporaire de leur condition, et que celle-ci soit ensuite revenue spontanément à son état précédent, moins sévère ». Un effet bien connu des épidémiologistes sous le nom de « régression à la moyenne ». Au reste, les auteurs de l’étude de 2017 le reconnaissent eux-mêmes dans leur article. « Nous ne pouvons pas conclure que les changements [observés après un passage en Centre expert] ont été uniquement dus à ce modèle de soins », écrivent-ils. Une précaution qui disparaît dans la communication publique des cadres de la fondation. Celle-ci assure toutefois au Monde que, outre l’étude de 2017, elle dispose d’autres données non encore publiées allant dans le même sens.

« Annexes introuvables »
Mais ce n’est pas tout. « Dans tout suivi de cohorte, on perd de vue un certain nombre de patients, et ce taux de perte est important pour juger de la solidité des résultats, explique M. Gonon. Dans leur article de 2017, les chercheurs de la fondation affirment que cette information se trouve dans les annexes de leur article. Or ces annexes sont introuvables sur le site de Bipolar Disorders [où est parue l’étude]. Je les ai demandées aux auteurs et à l’éditeur de la revue : depuis huit ans que l’article est publié, elles n’ont jamais été fournies. » Interrogée par Le Monde, l’une des autrices de l’article reconnaît un oubli, et que ces données n’ont pas été annexées à l’étude, mais elle assure qu’elles le seront dès qu’elles auront été retrouvées.

« Les conséquences de ce genre de communication publique peuvent s’avérer délétères, met en garde M. Naudet. Si les responsables politiques pensent que la généralisation des Centres experts peut permettre des économies massives en frais d’hospitalisation, ils peuvent tout à fait être tentés de fermer des lits en psychiatrie en contrepartie de la généralisation à peu de frais de telles structures. Or, l’un des principaux problèmes de la psychiatrie aujourd’hui, c’est le manque de lits. » C’est au moins un point d’accord avec la Fondation FondaMental, qui assure qu’elle ne plaide en aucun cas pour une baisse des investissements dans la prise en charge hospitalière des malades.

Financée sur fonds publics, mais aussi par des entreprises, la fondation assure que ni elle ni ses cadres n’ont d’intérêt matériel à la promotion des Centres experts. Elle affirme aussi que plusieurs travaux indiquent une variété d’effets positifs pour les patients (meilleure adéquation des traitements aux troubles, observance renforcée des prescriptions, comorbidités réduites, etc.). En outre, ajoute-t-elle en substance, elle n’est pas responsable de l’usage qui est fait de sa communication par les parlementaires. Alain Milon, le sénateur porteur de la proposition de loi visant à généraliser les Centres experts en psychiatrie, administrateur de la Fondation FondaMental entre 2011 et 2015, n’a pas répondu à nos sollicitations.

Stéphane Foucart