Alternatives économiques : L’aide à mourir franchit une étape décisive à l’Assemblée nationale
LE 28 MAI 2025
Les députés ont adopté lors d’un vote solennel la proposition de loi sur les soins palliatifs et celle sur l’aide à mourir. Les deux textes, examinés au Sénat à l’automne, laissent en suspens la question du financement.
Par Céline Mouzon
Le vote solennel a eu lieu mardi après-midi : l’Assemblée nationale a adopté les deux propositions de loi sur la fin de vie, l’une consacrée aux soins palliatifs, l’autre à l’aide à mourir.
Le chemin législatif de ces deux textes est cependant loin d’être terminé. Ils vont être examinés au Sénat en principe à l’automne, puis devront repasser une fois devant chaque assemblée. Avec un objectif : une adoption avant 2027 et la prochaine élection présidentielle. Autant dire que beaucoup de choses peuvent encore se passer.
Ces deux textes reprennent largement les dispositions d’un précédent projet de loi présenté en avril 2024, et scindé depuis, de façon à satisfaire les députés de droite hostiles à la légalisation de l’euthanasie. Si les deux sujets sont examinés conjointement, c’est parce que le risque est que l’aide à mourir soit un choix par défaut, faute d’un accès effectif aux soins palliatifs. C’est ce qu’avait déjà pointé la convention citoyenne sur la fin de vie.
Pour les soins palliatifs, des financements insuffisants…
Les premiers services de soins palliatifs ont en effet été mis en place à l’hôpital en 1987, à destination des patients souffrant de graves douleurs ou en fin de vie. En 1999, une loi pose le principe de l’accès universel aux soins palliatifs. Mais vingt-six ans plus tard, force est de constater que cet accès est loin d’être assuré.
Selon un rapport de la Cour des comptes de 2023, près de 51 % des personnes qui auraient potentiellement pu en bénéficier en 2017 n’ont pas pu y avoir recours (soit 180 000 personnes). 19 départements manquent encore d’unité de soins palliatifs (USP), le dispositif le plus renforcé d’accompagnement – à côté des lits identifiés en soins palliatifs dans d’autres services hospitaliers, de l’hospitalisation à domicile en soins palliatifs, et des équipes mobiles.
Le texte réaffirme une stratégie décennale qui alloue 1,1 milliard d’euros supplémentaires sur dix ans aux soins palliatifs, soit… 110 000 euros par an
L’offensive obscurantiste
L’objectif de la première proposition de loi est donc d’améliorer l’accès aux soins palliatifs et de rendre effective la promesse de 1999. Pour cela, le texte réaffirme une stratégie décennale présentée en avril 2024, qui alloue 1,1 milliard d’euros supplémentaires sur dix ans aux soins palliatifs, soit… 110 000 euros par an. Un montant qui semble en réalité encore loin du compte. Le budget en soins palliatifs en 2023 était de 1,6 milliard d’euros, selon le ministère de la Santé.
D’autant que d’autres problèmes se posent : le manque de « culture palliative » dans la société en général, et chez les médecins en particulier. Ainsi 43 % des personnes interrogées connaissent l’existence des directives anticipées, créées par la loi Leonetti de 2005, qui permettent au patient d’indiquer aux équipes quels soins médicaux lui prodiguer ou non, s’il n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté.
Mais seules 18 % des personnes interrogées en 2021 avaient rédigé les leurs (et 33 % des plus de 65 ans interrogés). La loi votée par les députés veut remédier à ce manque de culture palliative en organisant des campagnes de sensibilisation.
Par ailleurs, le manque de médecins généralistes se rendant à domicile et de médecins coordonnateurs dans les Ehpad complique aussi le développement des soins palliatifs dans ces espaces.
… et inadaptés
Autre difficulté, à l’hôpital, les soins palliatifs restent financés, de manière absurde, par la tarification à l’activité (T2A). D’une part, cela empêche d’avoir une lisibilité du coût réel des soins palliatifs, car certains séjours peuvent être codés autrement, alors même que des soins palliatifs sont prodigués. Surtout, la T2A suppose une durée de séjour comprise entre quatre et douze jours. Le service touchera la même somme de l’assurance maladie, à l’intérieur de cette borne (environ 6 000 euros).
Dit autrement, plus le séjour est long, moins il est rentable pour l’hôpital. Si la personne n’est pas sortie ou décédée à l’issue de ces douze jours, le budget augmente, mais très peu. Cela conduit le ou la cheffe de service à devoir parfois bricoler pour remettre les compteurs à zéro (envoyer en permanence, déplacer dans un autre service, etc.).
La tarification à l’activité est inadaptée et même contraire à une bonne prise en charge
Bref, les soins palliatifs sont l’exemple même des soins pour lesquels la T2A est non seulement inadaptée, mais également contraire à une bonne prise en charge. Cette question n’est pas traitée dans la proposition de loi.
Autre point à retenir du texte : la création des maisons d’accompagnement et de soins palliatifs, intermédiaires entre l’hôpital et le domicile. Mais là encore, seules quinze places par département sont prévues. Pour mémoire, on recense environ 600 000 décès par an. En 2017, 370 000 personnes auraient pu prétendre à des soins palliatifs.
Ce chiffre devrait augmenter avec le vieillissement de la population et la chronicisation des maladies. La Cour des comptes avance une augmentation de 23 % des besoins jusqu’en 2046, avec 470 000 personnes concernées.
Le suicide assisté plutôt que l’euthanasie
Le deuxième texte crée un droit à l’aide à mourir, ce qui fait craindre à ses opposants, y compris à gauche, un élargissement à venir des critères d’éligibilité. Plusieurs garde-fous et restrictions ont cependant été ajoutés en séance publique. Le suicide assisté sera la modalité par défaut d’accès à l’aide à mourir, l’euthanasie n’étant possible que si la personne « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ».
Autre point important : le recours à mourir est impossible sur le fondement des seules souffrances psychiques. Cela afin d’éviter que des personnes souffrant de troubles dépressifs qui génèrent des pensées suicidaires ne puissent y prétendre.
Le texte prévoit aussi une clause de conscience pour les professionnels, sur le modèle de celle pour l’IVG, avec l’obligation d’orienter vers d’autres professionnels. Il crée aussi – et c’est une originalité du modèle français – un délit d’entrave à l’aide à mourir.
Les peines encourues pour le nouveau délit d’entrave à l’aide à mourir vont jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende
L’entrave est définie comme « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen » y compris en ligne, soit en perturbant des lieux de pratique de l’aide à mourir et le travail des personnels, soit en exerçant des pressions, menaces ou intimidations sur des personnes cherchant à s’informer, les soignants, les patients ou leur entourage. Les peines encourues pour ce nouveau délit vont jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.
Il ne sera pas non plus possible de s’en tenir aux seules directives anticipées pour bénéficier de l’aide à mourir : le patient devra réitérer sa demande, même s’il l’a exprimée plusieurs années auparavant dans les directives.
Enfin, l’aide à mourir requiert d’être atteint d’« une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ». Les députés ont ainsi précisé, à la suite de l’avis de la Haute autorité de santé, ce que recouvrait l’idée d’une affection « en phase avancée ».
En l’état, ces textes ne dépassent pas l’antagonisme historique entre suicide assisté ou euthanasie et soins palliatifs. Car comme le rappelle le sociologue Michel Castra dans son ouvrage Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs (PUF, 2003), la création des soins palliatifs s’est faite dans les années 1980 en opposition avec trois pratiques : l’acharnement thérapeutique, qui consiste à vouloir soigner à tout prix, même lorsqu’il n’y a plus d’espoir ; l’abandon du malade en fin de vie, qui symbolise l’échec de la médecine curative et qu’on laisse à son sort ; et l’euthanasie.
Au terme de débats parlementaires plutôt apaisés, au cours desquels on n’a pas toujours retrouvé les clivages politiques traditionnels, l’aide à mourir a donc franchi une étape cruciale. Mais cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 reste soumise aux aléas politiques de son passage devant le Sénat, voire d’une éventuelle dissolution.
Céline Mouzon