Mediapart : Fin de vie : la place du médecin au cœur des débats à l’Assemblée nationale
Les députés ont terminé l’examen de la proposition de loi sur l’aide à mourir. Elle détermine notamment le rôle du médecin : quels seront ses échanges avec le patient ? Peut-il refuser la demande du patient ? S’il l’accepte, comment va-t-il s’entourer pour prendre une décision ?
Caroline Coq-Chodorge
24 mai 2025 à 20h31
Cette fois, les député·es ont pu aller au bout de l’examen de la proposition de loi sur l’aide à mourir, samedi 24 mai 2025. Au printemps 2024, les discussions avaient été brutalement interrompues par la dissolution décidée par le président de la République. Au fil de centaines d’heures de débat, en commission puis dans l’hémicycle, les arguments se sont précisés, et des compromis ont été trouvés.
À la suite de l’article 4 (lire notre article ici), qui définit les principaux critères d’accès à l’aide à mourir, la discussion s’est poursuivie sur un autre article, le 5, qui détaille le contenu de l’échange qui aurait lieu entre un patient qui demande l’aide à mourir et un médecin.
Dans le texte examiné par l’Assemblée, la demande du patient devait être seulement « expresse ». Les député·es ont finalement souhaité que la demande soit écrite, comme dans « la plupart des pays voisins », a rappelé la députée Renaissance Annie Vidal. « Sa formalisation par écrit est, pour le patient concerné, l’occasion d’une prise de conscience », estime-t-elle. Ce passage par l’écrit était demandé par de nombreux députés de droite. Finalement, de nombreux députés de gauche s’y sont ralliés, à cette condition que soit ajouté : « ou, à défaut, par tout autre mode d’expression adapté à ses capacités ». « Cela nous semble propice à rassurer chacun et à cadrer davantage la demande exprimée par le patient », s’est par exemple félicitée la député La France insoumise (LFI) Élise Le Boucher.
Le médecin qui reçoit la demande d’un patient ne pourra être en aucun cas un proche. Il n’est pas non plus obligatoire qu’il soit le médecin traitant : les député·es ont rappelé que de nombreux Français et Françaises n’en ont pas. La demande ne peut pas se faire par téléconsultation. Enfin, le ou la malade ne peut pas multiplier les demandes.
Les député·es n’ont pas voulu exclure les personnes « sous protection juridique », par exemple sous tutelle, mais ont renforcé les garanties qui l’entourent, en précisant que « le médecin doit à la personne protégée une information loyale, claire et appropriée sur son état […], adaptée à ses facultés de discernement ».
À gauche de l’hémicycle, de très nombreux députés souhaitaient que des directives anticipées, lorsqu’elles sont très claires sur la volonté d’obtenir une aide à mourir, soient prises en compte. Et ce, même si la personne est rendue inconsciente par un accident ou un AVC. Ou encore si « elle perd conscience après avoir déposé une demande d’aide à mourir », a par exemple plaidé le député LFI Hadrien Clouet. En vain : le rapporteur de la proposition, le député Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) Olivier Falorni, a tenu bon sur sa ligne : « L’expression de la volonté libre et éclairée doit être réitérée à plusieurs reprises et jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au geste final. »
La mention du handicap exclue
Face à une demande d’aide à mourir, le médecin doit informer « la personne sur son état de santé, sur les perspectives d’évolution de celui-ci ainsi que sur les traitements et les dispositifs d’accompagnement disponibles ». À ce sujet, les député·es ont longuement discuté de l’opportunité d’indiquer que « les personnes en situation de handicap doivent bénéficier d’une information spécifique, notamment relative aux conditions de vie et aux possibilités d’accompagnement », a par exemple plaidé Thibault Bazin (Les Républicains, LR). Cet argument n’a pas été retenu car le texte doit rester « à portée universelle », a argumenté le rapporteur Laurent Panifous (Liot) : « Le texte prévoit que les professionnels de santé délivrent toutes les informations relatives aux divers types d’accompagnement à tous, de façon, j’y insiste, universelle. »
Le même argument a été opposé à Philippe Juvin (LR), qui jugeait « indispensable de prendre en compte toutes ces questions matérielles, en particulier liées à la pauvreté, en permettant qu’un assistant social évalue les besoins du malade ».
La personne qui demande l’aide à mourir devra également être informée par le médecin « qu’elle peut bénéficier de l’accompagnement et des soins palliatifs ». Mais ce recours aux soins palliatifs ne serait pas rendu obligatoire, comme le souhaitent de nombreux députés de droite et d’extrême droite.
Le médecin doit encore proposer au patient « de l’orienter vers un psychologue ou un psychiatre ». De nombreux députés de droite ont voulu rendre cette consultation obligatoire, pour notamment vérifier « que le patient n’est pas victime de pressions familiales », a argumenté Philippe Ballard (Rassemblement national, RN). Selon lui, « des histoires gores, pour ne pas dire dégueulasses » se passeraient « en Belgique, aux Pays-Bas, au Canada ». L’écologiste Julie Laernoes, née aux Pays-Bas, s’est élevée contre ces propos : « Les dérives et les histoires “gores” dont vous parlez n’existent pas. Au contraire, l’accès à l’aide à mourir permet de faire de la mort du patient, entouré par sa famille, un moment apaisé », a-t-elle assuré.
Finalement, les député·es se sont entendu·es pour que la personne qui demande à mourir et souhaite voir un psychologue ou un psychiatre « y ait accès de manière effective ». Le député communiste Yannick Maudet a en effet rappelé « les délais pour obtenir un rendez-vous », et même « l’impossibilité de consulter un psychiatre dans les territoires ».
L’article 6 encadre la procédure de demande d’aide à mourir. Le médecin qui recueille la demande doit engager une « procédure collégiale ». Il doit pour cela recueillir obligatoirement l’avis d’un médecin spécialiste de la maladie de la personne, mais aussi celui « d’un auxiliaire médical ou d’un aide‑soignant » qui connaît bien celle-ci, puisqu’il intervient auprès d’elle. Dans l’hémicycle, les député·es se sont mis·es d’accord pour que l’avis de la personne de confiance, s’il y en a une, soit recueilli de manière obligatoire.
À droite notamment, les député·es ont obtenu de mieux encadrer la concertation entre les professionnel·les de santé. Le rapporteur Laurent Panifous a mis l’Assemblée d’accord grâce à ces précisions : « La réunion du collège pluriprofessionnel se déroule en la présence physique de tous les membres. En cas d’impossibilité, il peut être recouru à des moyens de visioconférence ou de télécommunication. » À la fin, « la décision sur la demande d’aide à mourir est prise par le médecin » qui a le premier recueilli la demande du ou de la malade.
Au moins deux jours de réflexion
Le médecin doit rendre un avis dans les quinze jours. Si l’avis est positif, l’aide à mourir peut intervenir après un délai de réflexion d’« au moins deux jours ». Lorsque la personne a bien confirmé sa demande d’aide à mourir, alors le médecin prescrit la substance létale. Le texte ne précise pas si elle doit être ingérée ou injectée. Ce sera à la Haute Autorité de santé de le faire, précise l’article 16.
L’acte létal doit être accompli par la personne elle-même, à une seule exception : si elle en est incapable physiquement. Alors le médecin ou l’infirmier présent accomplit le geste. Dans tous les cas, la personne doit être accompagnée d’un médecin ou d’un infirmier le jour où elle souhaite « procéder à l’administration de la substance létale ». Si cette date est fixée plus de trois mois après que le ou la patiente a confirmé sa décision, la médecin doit encore vérifier « le caractère libre et éclairé de la volonté de la personne ». Au moment de l’accomplissement du geste létal, la personne pourra être accompagnée de la personne de son choix.
Les plus longs débats ont porté sur le lieu où pourrait être accompli le geste létal. Le socialiste Dominique Potier a, par exemple, plaidé pour que « jamais le lieu où l’on soigne ne puisse être celui où l’on donne la mort », afin de protéger les professionnel·les de santé. Il n’a pas été entendu, tout comme Philippe Juvin (LR), qui a voulu exclure spécifiquement les services de soins palliatifs. Le même a également voulu interdire que le secteur privé lucratif développe des lieux dédiés à l’aide à mourir, qui existent par exemple au Canada. « Je ne veux pas qu’un commerce de la mort se développe », a-t-il plaidé, en vain.
L’examen de ces articles a été l’occasion à droite de l’hémicycle de dénoncer une fois encore la « rupture anthropologique » que serait la légalisation de l’aide à mourir. Pour le député RN Hervé de Lépinau, par exemple, « ce texte bouleverse des règles éthiques de la société sur le plan anthropologique, des règles qui sont particulièrement anciennes ».
Il ne faut pas retomber dans les affres du parcours de l’IVG à ses débuts.
Marie-Noëlle Battistel, PS
L’article 9 détaille le moment précis de l’administration de la substance létale. Le médecin ou l’infirmier présent doit s’assurer une dernière fois de la volonté de la personne, puis prépare éventuellement la substance et surveille son administration. Une fois la substance administrée, la présence du professionnel de santé n’est plus obligatoire, mais il doit se tenir à proximité en cas de difficultés. Un certificat de décès est ensuite établi.
Le texte examiné indiquait que cette mort ainsi provoquée était « naturelle ». Plusieurs députés LR ont fait valoir que cela conduisait à « brouiller les frontières entre mort naturelle et mort violente ». La ministre de la santé Catherine Vautrin a expliqué que cette mention était « motivée par des raisons assurantielles ». Elle n’a pas eu gain de cause et la phrase mentionnant cette mort naturelle a été supprimée.
L’article 11 n’a pas été modifié. Il précise que tous les actes précédemment décrits doivent être « enregistrés au fur et à mesure, par les professionnels concernés, dans un système d’information ».
Clause de conscience et délit d’entrave
Tous les professionnels de santé sollicités pour participer à une aide à mourir peuvent faire valoir leur « clause de conscience ». Ils ne pourront donc être contraints. Mais s’ils refusent, ils devront « communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer » à une aide à mourir. Cette « obligation de réadressage par le professionnel existe dans d’autres domaines, comme l’IVG », a rappelé la ministre de la santé Catherine Vautrin. Les professionnels de santé volontaires pourront se déclarer auprès d’une commission ad hoc. « Ce registre ne sera pas porté à la connaissance du grand public. Seuls les médecins y auront accès », a précisé le socialiste Stéphane Delautrette.
Suivant l’exemple de nombreux pays, la proposition de loi prévoit la création d’ une « commission de contrôle et d’évaluation, placée auprès du ministre chargé de la santé ». Le contrôle sera réalisé a posteriori, pour ne pas retarder les demandes d’aide à mourir, à partir des données renseignées dans un système d’information.
Cette commission est constituée de médecins, de magistrat·es et de représentant·es des usagers et usagères. Si elle constate des manquements aux règles déontologiques, elle les signale aux ordres des professionnel·les concerné·es. Si ces manquements sont « susceptibles de constituer un crime ou un délit », ils sont signalés au procureur de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale.
L’article 17 prévoit d’inscrire dans la loi un délit d’entrave au droit à l’aide à mourir. Empêcher la pratique de l’aide à mourir serait puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Pour le député RN Christophe Bentz, cet article est « probablement le plus grave de cette proposition de loi ». Au contraire, pour le député LFI Hadrien Clouet, il est « la signature de cette proposition de loi ». La socialiste Nicole Dubré-Chirat a livré cette explication de texte : « Chacun reste libre de penser, de croire, de s’exprimer, mais cette liberté ne peut pas se transformer en menaces ou en intimidations. »
Le vote solennel sur ce texte aura lien en même temps que celui sur les soins palliatifs, mardi 27 mai prochain.
Caroline Coq-Chodorge