Le Monde.fr : Fin de vie : la question du handicap s’immisce dans les discussions
Des militants « antivalidistes » appellent la gauche à s’opposer à un projet de loi « inutile et dangereux », alors que d’autres collectifs veulent s’assurer que ce nouveau droit à l’aide à mourir ne soit ni refusé ni imposé en raison du handicap.
Par Anne-Aël Durand
Publié le 25/05/2025
Où s’arrête la maladie et où commence le handicap ? Doit-on privilégier la liberté individuelle ou s’assurer d’abord de l’égalité réelle face aux soins et de la solidarité envers les plus vulnérables ? Ces questions ont émergé à l’occasion des discussions sur la fin de vie à l’Assemblée nationale, qui ont commencé le 12 mai et doivent s’achever mardi 27 mai.
La proposition de loi ouvrant un droit à l’aide à mourir suscite l’hostilité de plusieurs collectifs de militants « antivalidistes », qui dénoncent les discriminations systémiques contre les personnes handicapées (Handi-social, Jusqu’au bout solidaires ou le Collectif Lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation). « Quand on est handicapé, on entend souvent : “moi, je ne pourrai pas” ou “si j’étais à ta place, je me tuerais”. Le handicap est présenté comme la chose la pire qui peut arriver dans la vie. Mais, nous, on ne veut pas mourir, on veut des droits », explique au Monde Alice Ohayon, vice-trésorière des Dévalideuses.
Estimant que l’actuelle loi Claeys-Léonetti, autorisant, dans certains cas, une « sédation profonde et continue jusqu’au décès », répond à la plupart des situations, Mme Ohayon considère que la priorité de l’Etat est d’assurer à tous de bonnes conditions matérielles de vie pour éviter que les personnes handicapées ne soient discriminées ou « ressentent qu’elles sont un poids » pour la société ou leurs proches.
Comme l’explique aussi l’avocate Elisa Rojas, dans une tribune au Monde publiée le 13 février, « le risque de voir mourir des personnes malades et handicapées acculées par l’exclusion, la précarité, la souffrance socio-économique, l’absence d’accès aux soins, y compris palliatifs, est trop grand pour ne pas s’opposer fermement à ce texte ». D’autres « dérives », comme l’élargissement des critères d’accès, sur le modèle du Canada, sont souvent cités par ces collectifs, qui interpellent en priorité les députés issus de la gauche. « On est progressistes, mais on essaie de faire comprendre que ce n’est pas une loi de solidarité », explique Mme Ohayon.
Respect de l’autodétermination
Rapporteur de la loi, le député (divers gauche) de la Charente-Maritime Olivier Falorni assure que le texte « ne concerne pas la vieillesse ou le handicap, mais les personnes atteintes de maladies graves et incurables avec des souffrances insupportables ou réfractaires au traitement ». La ministre déléguée au handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, a aussi tenu à répondre sur X, affirmant que « [le texte] ne crée aucun droit à mourir du fait du handicap » et se fonde sur cinq critères cumulatifs, notamment l’aptitude à manifester une volonté libre et éclairée.
Cible des messages « virulents » des militants « antivalidistes », étant lui-même en fauteuil roulant, Sébastien Peytavie, député (Génération.s) de la Dordogne, « essaie de relayer les arguments et inquiétudes ». Favorable au texte actuel, qu’il estime « équilibré », il reconnaît avoir « changé de position sur les directives anticipées » au cours des débats entamés en 2024. L’élu souligne aussi l’importance du texte, voté en parallèle, sur les soins palliatifs pour tous, en déplorant qu’en janvier, à Toulouse, une femme atteinte de la maladie de Charcot « a demandé une sédation profonde, car elle n’avait pas accès aux soins à domicile ». « La loi [sur la fin de vie] n’est pas “validiste”. La société est “validiste”, il n’y a aucun doute là-dessus, affirme la députée (Les Ecologistes) de Paris Sandrine Rousseau. On lit aussi sur les réseaux que c’est une loi eugéniste. Je suis en frontal désaccord, car ce sont les personnes qui décident pour elles-mêmes. »
Le respect de l’autodétermination est un point de vigilance pour le Collectif Handicaps. « On ne se prononce pas sur le débat de société “pour ou contre” l’aide à mourir, qui nous dépasse, mais on veut éviter deux écueils : que ce nouveau droit soit refusé à des personnes qui veulent y avoir accès ou imposé à d’autres qui n’en voudraient pas », explique Axelle Rousseau, coordinatrice du collectif, qui rassemble 54 associations de personnes concernées ou de leurs proches.
« Aspirations à vivre »
Le texte a été amendé pour que l’aide à mourir soit formulée par le demandeur avec des « modes d’expression adaptés à ses capacités » s’il n’a pas l’accès à l’écrit ou au langage oral. La « souffrance psychologique seule » ne peut être un critère, et l’altération du discernement doit être vérifiée par les médecins, mais ni les personnes atteintes d’un trouble psychique, ni celles placées sous protection juridique, ne sont écartés par principe du dispositif, s’ils ont, par ailleurs, une affection grave, comme un cancer.
Christophe Duguet, directeur des affaires publiques d’AFM-Téléthon, une association qui défend des personnes sévèrement handicapées ou atteintes de pathologies dégénératives, note que « la notion de souffrance ne suit pas les gradients de la lourdeur de la maladie. Dans des situations de très grande dépendance, on constate de très fortes aspirations à vivre, même dans des conditions que d’autres ne pensent pas concevables. La société se doit de donner les moyens à ces personnes de vivre dignement ».
Anne-Aël Durand