Le droit de mourir dans la dignité

Mediapart : Fin de vie : les députés s’entendent sur les principaux critères d’accès à l’aide à mourir

il y a 4 semaines, par infosecusanté

Mediapart : Fin de vie : les députés s’entendent sur les principaux critères d’accès à l’aide à mourir

Trois longues journées de débats ont été nécessaires aux députés pour déterminer les principaux critères d’accès à l’aide à mourir. Au cœur des échanges, la question de l’âge, la nécessité d’un pronostic vital engagé, le degré de souffrance ou encore l’expression d’une volonté libre et éclairée.

Caroline Coq-Chodorge

21 mai 2025

L’Assemblée nationale a adopté, mardi 20 mai en fin de journée, les quatre premiers articles de la proposition de loi sur la fin de vie. Sur chacun des articles, une large majorité s’est dessinée, grâce à l’addition des voix des député·es, de La France insoumise (LFI) à Ensemble pour la République et Horizons. Les Républicains (LR) et le Rassemblement national (RN) ont majoritairement voté contre. Mais chaque parti a laissé la liberté de vote à ses membres. Sur tous les bancs, des voix dissonantes se sont donc fait entendre.

En discussion commune, préalable à l’examen des articles, des voix de gauche se sont élevées sur le risque d’une légalisation de l’aide à mourir, alors que de nouvelles mesures d’austérité s’annoncent pour le système de santé.

Le député de l’Allier Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine) s’est inquiété de « l’obsession de réaliser 40 milliards d’euros d’économies » sur les dépenses publiques. Il invite à « mesurer le poids de cette évolution législative au regard de l’état de notre système de soins ».

À l’extrême droite, la députée de l’Isère Hanane Mansouri (UDR) a rappelé le coût d’une prise en charge en soins palliatifs et, « sans vouloir réduire la fin de vie à une équation comptable », celui d’une injection létale : « une centaine d’euros ». Elle s’inquiète encore du message envoyé aux « personnes âgées, handicapées, isolées » : elles pourraient avoir le sentiment d’être « un fardeau ».

Pour le député LFI de Haute-Garonne Hadrien Clouet, cette proposition de loi est au contraire « un texte de liberté, d’égalité et de fraternité, individuelles et collectives ». « Nous ne sommes pas égaux, lorsqu’il faut débourser plusieurs milliers d’euros pour trouver un soulagement à ses souffrances à l’étranger. Nous ne sommes pas fraternels, dans un pays où l’on impose à des gens de souffrir. »

Sur les bancs de la gauche, le député socialiste Dominique Potier a reconnu se sentir seul à vouloir « montrer qu’on peut s’opposer à l’euthanasie pour des raisons de gauche ». Passé ces interrogations économiques, les débats ont dégagé les grandes lignes des critères pour accéder à l’aide à mourir.

L’euthanasie exclue, sauf exceptions
L’article premier du texte vise à modifier le Code de la santé, dès son entame, le « chapitre premier du titre premier du livre premier de la première partie du Code de la santé publique ». Si la proposition de loi est adoptée, son titre sera à l’avenir : « Information des usagers du système de santé, expression de leur volonté et fin de vie ».

Les discussions sur l’article 2 ont conduit les député·es à modifier radicalement le texte issu de la commission des affaires sociales. Cet article affirmait l’aide à mourir comme un « droit » d’une personne de « recourir à une substance létale », dans des conditions détaillées ainsi : « afin qu’elle se l’administre ou se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier ». Cette rédaction laissait donc le choix de recourir soit à l’euthanasie – quand un tiers procède au geste létal – soit au suicide assisté – quand la personne réalise elle-même le geste.

Pour la rapporteuse et députée LFI de la Sarthe Élise Leboucher, la possibilité du recours à l’euthanasie permettrait « de rassurer des personnes vivant une situation déjà très difficile et de privilégier la procédure qui engendre le moins de souffrance pour elles, ce qui est un facteur de sérénité tant pour la personne elle-même que pour le soignant ».

La ministre de la santé, Catherine Vautrin, a en définitive eu gain de cause. « Le texte est fondé sur la liberté du patient : c’est le patient qui formule et qui réitère sa demande, a-t-elle expliqué. Il me paraît logique que ce soit bien lui qui s’auto-administre le produit, sauf cas exceptionnels où il n’a physiquement pas la possibilité de le faire. » L’euthanasie ne sera donc pas la règle.

Le rapporteur général du texte, le député de Charente-Maritime Olivier Falorni, a voulu démentir les député·es qui ont alerté sur une incitation au suicide, rendu légal, en citant le rapport de février 2025 de l’Observatoire national du suicide : « On ne semble pas observer d’effets de “déport” des suicides vers les dispositifs d’aide active à mourir […] dans les pays où [ceux-ci] ont été légalisés ou [de telles] pratiques autorisées sous conditions par la jurisprudence. »

Pas de directives anticipées
À gauche de l’hémicycle, des député·es ont par ailleurs plaidé pour que les directives anticipées ouvrent le droit à l’aide à mourir. Une personne qui l’aurait demandé auparavant, « en pleine conscience », pourrait l’obtenir, même si elle a perdu ses capacités cognitives, par exemple dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Sinon, elle devrait « anticiper et décider de son propre décès avant la date qu’elle aurait souhaitée pour profiter des derniers moments où elle peut communiquer avec ceux qu’elle aime », a proposé la députée du Parti de gauche Danielle Simonnet.

Olivier Falorni s’est dit sensible à l’argument. Il a admis avoir envisagé cette possibilité, mais l’a finalement écartée après des discussions avec « des médecins très favorables » à la légalisation de l’aide à mourir : « Ils veulent, ils ont absolument besoin d’une ultime réitération, de cet échange, de ce nouveau “oui, docteur, je le veux”, souvent accompagné d’un “merci, docteur”. »

Le médecin et député Droite républicaine Philippe Juvin a ainsi donné corps à l’argument : « Imaginez ce qu’il faudrait pour poser une perfusion, injecter un produit à un patient qui ne le voudrait pas, parce qu’il est dément et ne comprend pas ce qui arrive ! »

L’entrée dans un processus irréversible
L’article 4, qui détermine les « conditions d’accès » à l’aide à mourir, a exigé deux journées entières de débats. Les parlementaires ont planché sur la manière précise, sans ambiguïté, de décrire le moment où l’état du malade ouvrirait un droit à l’aide à mourir. Le critère d’une fin de vie « à court ou moyen terme » a été exclu. « On ne peut pas demander aux médecins de se transformer en devins pour dire combien il reste à la personne malade de temps à vivre – six mois, douze mois, vingt-quatre mois. C’est parfaitement impossible », a cadré Olivier Falorni.

Sur ce sujet, la ministre de la santé a sollicité l’avis de la Haute Autorité de santé. Celle-ci l’a rendu le 6 mai 2025. Elle estime qu’il n’est pas possible de déterminer le terme d’une maladie « dans une approche individuelle ». Mais elle propose de préciser ainsi « la phase avancée ou terminale » d’une maladie : « L’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie. » Ce sont les termes retenus par l’Assemblée.

Le critère de l’âge
Autre critère, le texte en l’état de sa rédaction prévoit que l’aide à mourir ne soit accessible qu’aux personnes âgées d’« au moins 18 ans ». Pour l’Écologiste Sandrine Rousseau, « la question de l’évolution de la limite d’âge se posera sans doute un jour ». « À titre personnel, je pense que des exceptions devraient exister pour pouvoir appliquer le texte à des personnes en souffrance de moins de 18 ans », a-t-elle indiqué. Louis Boyard (LFI) a renchéri, rappelant que « des enfants n’atteindront pas l’âge de la majorité car ils sont en phase terminale », et qu’eux aussi peuvent « trop souffrir ».

Olivier Falorni n’a pas fait « le reproche » à ces député·es d’avoir abordé un sujet aussi sensible, mais il estime que « l’âge de 18 ans prévu par le texte est celui de la pleine capacité juridique ».

Être français ou en situation régulière
Pour obtenir le droit à mourir, il faudra aussi être « de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ». Aux député·es du RN, qui souhaitait réserver ce nouveau droit aux seul·es Français·es, Olivier Falorni a rétorqué que « le texte ne prévoit pas de préférence nationale en matière d’aide à mourir ». Pour Danielle Simonnet, il fallait aller plus loin et « offrir le droit à l’aide à mourir à des personnes originaires d’autres pays », « en mémoire de celles et ceux qui se sont rendus en Belgique et en Suisse ».

Souffrance physique ou psychologique
En l’état, le texte prévoit, entre autres critères, que les personnes souffrant d’une « affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » doivent « présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable ».

Sur ce point, le député LR Philippe Juvin a cité la lettre envoyée par le Conseil national professionnel de psychiatrie à tous les député·es : « Elle nous avertit que “nombre de patients atteints de pathologies psychiatriques graves et persistantes – dépression sévère, schizophrénie, troubles de la personnalité –, parfois soignés sans leur consentement, pourraient revendiquer remplir les critères fixés par le texte”, parce qu’ils souffrent psychologiquement, parfois de façon insupportable. »

Le rapporteur général, Olivier Falorni, a refusé d’« établir de hiérarchie entre souffrance physique et souffrance psychologique ». Il a aussi rappelé que ce texte prévoit d’ouvrir un droit à l’aide à mourir aux seules personnes souffrant d’une « affection grave et incurable » et « qui engage le pronostic vital ». « Vous nous parlez de la schizophrénie : cette maladie n’engage pas le pronostic vital », a-t-il répondu à Philippe Juvin.

Pas d’exceptions en fonction des handicaps
À droite et à l’extrême droite, plusieurs député·es ont aussi réclamé que de nombreuses personnes handicapées soient explicitement exclues de ce nouveau droit. « Les autistes, les déficients intellectuels, les schizophrènes, les bipolaires, les personnes atteintes d’un syndrome dépressif », a listé Philippe Juvin.

« On ne peut introduire, entre les citoyens français, une discrimination fondée sur le handicap », s’est ému le député socialiste de l’Essonne Jérôme Guedj.

La rapporteuse Élise Leboucher (LFI) a rappelé que, parmi les personnes atteintes de « troubles du spectre de l’autisme, les symptômes, plus ou moins présents, varient d’une personne à l’autre, voire évoluent au fil du temps. Qui dit diversité des symptômes dit diversité des capacités et des besoins ». Pour elle, exclure de l’aide à mourir toute personne autiste reviendrait à « écarter des patients qui seraient en mesure de manifester leur volonté de manière libre et éclairée ».

« Les personnes autistes sont des personnes. Elles peuvent être atteintes d’affections graves et incurables, qui engagent leur pronostic vital, et éprouver des souffrances insupportables, a rétorqué Olivier Falorni. Si elles devaient être amenées à demander l’aide à mourir, leur discernement sera évalué. »

Un consentement « libre et éclairé »
L’article 4 précise en effet que la personne qui demanderait l’aide à mourir le fasse « de façon libre et éclairée ». Plus loin dans le projet de loi, l’article 6, pas encore examiné, exclut aussi explicitement les personnes « dont une maladie altère gravement le discernement ».

Philippe Juvin a encore voulu retirer le droit à l’aide à mourir aux personnes emprisonnées, car « en prison, par définition, on n’est pas très libre ». Olivier Falorni lui a de nouveau rétorqué qu’« une personne incarcérée est une personne comme une autre ».

Aux yeux de l’écologiste Sandrine Rousseau, ce texte porte « un espoir » pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé et dont les souffrances pourraient devenir insupportables : la possibilité d’une aide à mourir « permet de supporter la souffrance », selon elle. « Savoir qu’on peut y avoir recours peut permettre de tenir un jour, trois jours, une semaine, un mois ou deux mois de plus. »

Caroline Coq-Chodorge