Le Monde.fr : « TVA sociale » : une piste « a priori séduisante » pour résorber le déficit de la « Sécu »
Dans un document de travail, consulté par « Le Monde », le Haut Conseil du financement de la protection sociale examine l’idée consistant à baisser les cotisations sur les salaires et à remplacer celles-ci par un surcroît de taxe sur les consommateurs. Un scénario qui recèle plusieurs limites.
Par Bertrand Bissuel
Publié le 18/05/2025
Emmanuel Macron a réussi son coup : replacer au cœur du débat l’idée controversée d’une « TVA sociale ». Même s’il n’a pas employé ce terme, lundi 13 mai sur TF1, durant l’émission « Les défis de la France », le président de la République a implicitement plaidé en faveur d’un tel projet qui, à très grands traits, consiste à baisser les cotisations prélevées sur les salaires et à remplacer celles-ci par un surcroît de taxe sur les biens et services achetés par les consommateurs.
La mesure, évoquée depuis des années et qui faillit être mise en œuvre à l’initiative de Nicolas Sarkozy quand il était à l’Elysée, est-elle souhaitable ? C’est cette question que le Haut Conseil du financement de la protection sociale tente d’éclairer, dans un document de travail présenté jeudi aux membres de cette instance, et auquel Le Monde a eu accès. Il synthétise les différents points de vue existants, en concluant que cette piste, « a priori séduisante », mériterait d’être explorée – parmi d’autres et sous certaines conditions.
Le document a été réalisé à la demande de François Bayrou. Le premier ministre avait saisi, début mars, le Haut Conseil et deux autres comités d’experts afin qu’ils formulent des propositions dans la perspective du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Un exercice aux allures d’équation insoluble : même s’il a finalement été moins important que prévu, le déficit de la « Sécu » a tout de même atteint 15,3 milliards d’euros en 2024 et il pourrait atteindre, en 2025, 22 milliards d’euros.
« Un impôt à fort rendement »
Pour répondre à la commande de M. Bayrou, le Haut Conseil a réfléchi dans plusieurs directions, dont l’une a trait aux recettes. Une nouvelle injection de crédits « ne peut être écartée si on veut crédibiliser une trajectoire de retour à l’équilibre », écrit l’instance présidée par Dominique Libault, tout en précisant que cette option « ne saurait être exclusive ». Dans les leviers susceptibles d’être actionnés, il y a « l’accroissement de TVA », sachant qu’une partie du produit de cette taxe est déjà consacrée aux systèmes de solidarité – à hauteur de 23 % rien que pour l’Assurance-maladie, soit 48 milliards d’euros en 2024. L’affectation de cette manne à l’Etat-providence « s’est effectuée “à bas bruit” », de manière à compenser les exonérations de cotisations accordées depuis une trentaine d’années.
Un recours renforcé à la TVA pour financer la « Sécu » offre plusieurs avantages, aux yeux de ceux qui y sont favorables : « pas d’impact direct sur le coût du travail » ni sur la « capacité à exporter » puisque les produits écoulés à l’étranger ne sont pas assujettis à la taxe. En outre, « c’est un impôt à fort rendement ». Si les quatre taux en vigueur sont relevés d’un point, le gain est de près de 13 milliards d’euros par an. Cette éventualité se justifie aussi car la France mobilise moins la TVA que beaucoup d’autres pays européens.
Le scénario recèle, toutefois, plusieurs limites. D’abord, une majoration de la TVA peut entraîner une hausse des prix, qui, elle-même, risque d’alimenter les revendications salariales et de tirer vers le haut les rémunérations, renchérissant ainsi le coût de la main-d’œuvre. De plus, l’incidence sur l’activité économique « n’est pas totalement négligeable » : si la TVA s’accroît d’un montant équivalent à « un point de PIB », la croissance en pâtit, avec une perte « à long terme » de 0,7 point selon la direction du Trésor et de 0,2 point d’après l’Observatoire français des conjonctures économiques.
Autre difficulté, qui est loin d’être anodine : une augmentation de cette taxe pèse, à court et moyen terme, sur les individus situés en bas de l’échelle des revenus, accentuant les inégalités, selon une étude diffusée en 2021 par les chercheurs Mathias André et Anne-Lise Biotteau. Ainsi, le pouvoir d’achat des 10 % les plus modestes subit une baisse directe de 2,8 % – si le taux normal de TVA progresse de trois points. Cependant, cet effet anti-redistributif est jugé transitoire et faible par d’autres économistes – dont Gilbert Cette –, comme le signale le document du Haut Conseil.
La vigilance s’impose
Si M. Macron a remis sur le devant de la scène l’hypothèse de la « TVA sociale », c’est parce qu’il trouve que le budget de la « Sécu » impose des prélèvements trop lourds sur le travail, ce qui pénalise les entreprises. D’où l’idée d’amoindrir les cotisations sur les salaires et de compenser cette perte de ressources publiques par un renchérissement des taxes sur les consommateurs, l’argent ainsi encaissé étant reversé aux systèmes de solidarité.
Pour ceux qui le défendent, un tel schéma peut se traduire par un allègement des contributions patronales, qui permet aux employeurs de compresser le prix de leurs produits et de gagner des marchés à l’exportation. Mais cet enchaînement vertueux n’a rien d’évident : il peut être battu en brèche si les pays concurrents de la France réagissent en menant la même politique (ou si les entreprises maintiennent leurs prix). Qui plus est, les problèmes de l’économie tricolore ne tiennent plus forcément à une compétitivité insuffisante sur les prix, d’après certains auteurs. Enfin, le Haut Conseil souligne que si la hausse de la TVA sert, intégralement, à couvrir l’abaissement de charges, c’est un jeu à somme nulle et le déséquilibre des finances publiques subsiste. Or, il y a urgence à résorber rapidement le « trou de la Sécu ».
A partir de tous ces éléments, l’instance présidée par Dominique Libault estime que « si un recours à la TVA semble être envisageable », la vigilance s’impose à plusieurs niveaux. D’abord, il faut prendre en considération « les impacts redistributifs sur les différents agents », notamment les ménages les plus modestes. Ensuite, les milliards d’euros induits par un relèvement de la taxe doivent, en priorité, être affectés « au rétablissement des comptes sociaux ». Mais rien n’interdit, à terme, d’utiliser ces sommes pour diminuer le coût du travail. « Si un recours à une TVA sociale était retenu », écrit le Haut Conseil, les pouvoirs publics pourraient procéder « en deux temps », en ne baissant les cotisations « que sous réserve d’avoir franchi un palier significatif de réduction des déficits sociaux ».
Rationalisation des exonérations de cotisations
En dernière analyse, la taxe sur la consommation ne constitue pas « le seul point d’ancrage » d’un éventuel programme visant à doper les recettes. Le document plaide, en effet, pour que la réflexion s’élargisse à d’autres mesures. Les pistes mentionnées sont nombreuses.
Elles passent, par exemple, par des actions qui accroissent la proportion de personnes en emploi, donc l’activité, les richesses et, au bout de la chaîne, les rentrées de prélèvements obligatoires. Par ailleurs, « il existe des marges de manœuvre pour une augmentation de la CSG [contribution sociale généralisée] ». De même, « la mise à contribution du patrimoine serait légitime », selon le Haut Conseil, qui évoque plusieurs dispositifs à revisiter : l’assurance-vie, le « pacte Dutreil » relatif au régime fiscal de la transmission d’entreprises familiales, etc. L’instance présidée par Dominique Libault se dit également favorable à une majoration de certaines « taxes comportementales » – sur l’alcool en particulier – et milite pour une rationalisation des exonérations de cotisations, qui représentent une fortune aujourd’hui – environ 80 milliards d’euros, que l’Etat compense presque totalement.
Le document transmis jeudi 15 mai a vocation à être complété par d’autres analyses sur – entre autres – la maîtrise des dépenses. Le tout sera intégré aux propositions émises par le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie et par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, que M. Bayrou avait également sollicités en mars. Le fruit de ces travaux devrait déboucher sur un rapport communiqué en juin.
Bertrand Bissuel