Le droit de mourir dans la dignité

Le Monde.fr : Fin de vie : les députés adoptent en commission une proposition de loi créant un « droit » à l’aide à mourir

il y a 2 semaines, par infosecusanté

Le Monde.fr : Fin de vie : les députés adoptent en commission une proposition de loi créant un « droit » à l’aide à mourir

Les débats sur les critères d’accès à cette aide à mourir demeurent vifs. Le texte doit être examiné en séance à partir du 12 mai.

Par Béatrice Jérôme

Publié le 03/05/2025

C’est désormais, après l’adoption d’un amendement, un « droit » et plus une simple « possibilité ». La proposition de loi sur « la fin de vie », votée vendredi 2 mai en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, avant son examen par l’ensemble des députés, prévoit que tout malade incurable pourra disposer de ce « droit » à demander une aide à mourir (euthanasie ou suicide assisté). Un pas de plus vers la dépénalisation d’un geste létal sur décision médicale que prévoyait le projet de loi dévoilé en mars 2024 par Emmanuel Macron, et dont l’examen avait été suspendu par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Scindé par la volonté du premier ministre, François Bayrou, le texte de l’exécutif a été transformé en deux propositions de loi. L’une portant sur les soins palliatifs a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires sociales de l’Assemblée, le 11 avril. L’autre traitant de l’aide à mourir a été votée, le 2 mai, par 28 voix contre 15 (et une abstention). Elles seront examinées l’une après l’autre en séance publique dans l’Hémicycle à partir du 12 mai.

En commission, parmi les quelques rares modifications apportées au texte initial de la proposition de loi, les députés ont mis fin à la règle qui privilégiait l’administration par le malade lui-même de la substance létale, sauf en cas d’incapacité physique. Le texte permet le choix entre autoadministration et recours à un tiers pour accomplir le geste.

En revanche, les critères d’accès à l’aide à mourir n’ont guère été modifiés. Si ce n’est pour préciser qu’une personne victime d’un accident pourrait potentiellement y prétendre. C’est pourtant sur ces conditions posées à la pratique d’un acte létal que les débats ont été les plus houleux.

« Inadapté et dangereux »
Les opposants à ce droit, tous députés du parti Les Républicains (LR) ou du Rassemblement national (RN), ont livré en commission des assauts répétés contre une formulation du texte susceptible, à leurs yeux, d’ouvrir « grandes les vannes » de « l’euthanasie » et du « suicide assisté », selon Christophe Bentz, élu (RN) de Haute-Marne.

La proposition de loi dispose notamment qu’une personne malade peut se voir accorder une aide à mourir si elle est « atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, engageant le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ». Les députés LR et RN ont ciblé la notion de « phase avancée », qualificatif « inadapté et dangereux (…) puisque extrêmement arbitraire », selon le député LR du Bas-Rhin Patrick Hetzel. A ses côtés, son homologue LR des Hauts-de-Seine Philippe Juvin a jugé que la formule « engageant le pronostic vital » ne veut « rien dire si on ne précise pas le délai ». M. Juvin a soutenu que des personnes souffrant d’insuffisance rénale, de cancers ou d’affections de longue durée pourraient, en vertu du « seul pronostic vital engagé », être « éligibles » à l’aide à mourir, bien qu’elles aient encore « plusieurs années à vivre ». En clair, a renchéri l’élu LR de Meurthe-et-Moselle Thibault Bazin, cette loi ne va pas « concerner que des personnes en fin de vie ».

Les opposants farouches à l’aide à mourir n’ont pas été les seuls en commission à critiquer ces critères. Le terme « “phase avancée” est une expression qui ne repose sur aucun consensus médical clair, a estimé le député Horizons de Maine-et-Loire François Gernigon. Elle crée une incertitude dans la prise de décision et peut entraîner des disparités dans l’application du droit selon les professionnels ou les établissements », a poursuivi le député, cosignataire avec sa collègue Horizons de Seine-Maritime Agnès Firmin Le Bodo, d’un amendement visant à rétablir le critère du « pronostic vital à court ou moyen terme », qui figurait dans la version initiale du projet de loi voulu par Emmanuel Macron.

La députée (Renaissance) de Seine-Maritime Annie Vidal a exprimé les mêmes « inquiétudes » sur les critères « flous » de l’actuelle proposition de loi. Frédéric Valletoux (Horizons, Seine-et-Marne), président de la commission des affaires sociales, a déposé un amendement visant à restreindre les conditions d’accès à l’aide à mourir.

Critères « cumulatifs »
Face à ces oppositions, la riposte des partisans de la proposition de loi a consisté à rappeler que d’autres conditions devaient être remplies. La personne malade doit également « présenter une souffrance physique ou psychologique liée à [son] affection, réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ».

« La souffrance liée à l’affection constitue le cœur du texte », a martelé l’élu de Charente-Maritime Olivier Falorni (membre du groupe des députés MoDem), rapporteur général de la proposition. Il a également rappelé avec d’autres députés, pour la plupart de gauche, que ces critères étaient « cumulatifs ».

Pour mieux convaincre de la « solidité » des conditions prévues par la proposition de loi, M. Falorni espère pouvoir s’appuyer sur l’avis que la Haute Autorité de santé (HAS) s’apprête à rendre public. L’institution indépendante a été saisie en avril 2024 par Catherine Vautrin, ministre de la santé, puis par sa successeure, Geneviève Darrieussecq, en novembre 2024, pour définir la notion de « pronostic vital engagé » et « de phase avancée ».

Selon les informations du Monde, la HAS devrait établir le caractère scientifiquement peu fiable d’une prédiction du temps restant à vivre pour une personne même atteinte d’une maladie grave et incurable, considérant que le pronostic dépend de chaque individu.

Cette position devrait dissuader les députés de vouloir relancer le débat sur les critères temporels. La HAS devrait définir la notion de « phase avancée » d’une maladie comme un stade irréversible qui affecte la qualité de vie du malade. Elle devrait aussi recommander aux médecins de prendre en compte le ressenti et la subjectivité de la personne malade. Des recommandations qui devraient relancer le débat sur la marge d’appréciation des médecins dans l’instruction d’une demande d’aide à mourir.

Sans attendre l’avis de la HAS, des députés de gauche, de droite et du centre ont défendu en commission des amendements visant à renforcer le caractère collégial de l’examen d’une demande d’aide à mourir. A ce stade, la proposition de loi prévoit que la décision d’accéder au souhait du malade sera prise par un seul médecin après qu’il aura consulté un praticien spécialiste de la pathologie et un personnel soignant. Ces amendements ont été rejetés. Mais M. Falorni s’est engagé à les « retravailler » avec leurs auteurs en vue du débat dans l’Hémicycle. L’avis de la HAS devrait, sur ce sujet, aussi les éclairer.

Béatrice Jérôme