Luttes et mobilisations

Le Monde.fr : Régulation de l’installation des médecins : des manifestations dans plusieurs villes, un plan du gouvernement encore flou

il y a 1 semaine, par infosecusanté

Le Monde.fr : Régulation de l’installation des médecins : des manifestations dans plusieurs villes, un plan du gouvernement encore flou

Alors que doit reprendre, le 6 mai, l’examen de la proposition de loi Garot touchant à la liberté d’installation des médecins, la profession fait entendre son opposition. Le gouvernement cherche la parade, avec un « pacte » et une « mission de solidarité » dans les déserts médicaux.

Par Mattea Battaglia, Adèle Pétret et Camille Stromboni

Publié le 29/04/2025

Des étudiants en médecine et des jeunes médecins, lors de la manifestation contre la proposition de loi sur les « déserts médicaux », à Paris, le 29 avril 2025. THOMAS SAMSON/AFP
« Serre pas ton garrot sur nos libertés », « Oui à l’incitation, non à la coercition », « Liberté, égalité, laisse-moi décider », « Retirez le garrot, la médecine libérale étouffe », « Garot pipo »… La mobilisation dans la rue ne fait pas partie des modes d’action habituels des médecins. Pourtant, ils étaient plusieurs milliers à reprendre ces slogans, mardi 29 avril, de Paris à Marseille, et de Lille à Lyon, en passant par Brest, Nantes, Bordeaux ou Besançon.

A l’appel des organisations d’internes, d’étudiants et de jeunes médecins, soutenus par tous les syndicats de médecins libéraux, les manifestants ont serré les rangs contre la proposition de loi transpartisane du député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot, cosignée par quelque 250 autres députés de tout bord (hors Rassemblement national) et dont les chances d’aboutir semblent n’avoir jamais été aussi fortes.

A une semaine de la reprise, mardi 6 mai, de l’examen du texte, dont l’article premier, déjà adopté à l’Assemblée, touche à la liberté d’installation des médecins, en prévoyant une régulation (une arrivée conditionnée à un départ, dans les territoires jugés suffisamment dotés), l’opposition au sein de la profession ne faiblit pas. Chez les internes, ces jeunes médecins après la sixième année d’études, un sur deux se serait déclaré gréviste, mardi, selon leur intersyndicale (ISNI).

Croisée dans le cortège parisien, Anna Dumont, 21 ans, étudiante en médecine venue d’Amiens, relaie l’une des principales critiques des médecins : l’« inefficacité » d’une telle mesure au vu de la démographie médicale. « Faire bouger les médecins, ça n’en inventera pas [de supplémentaires] », affirme-t-elle. « Cette proposition de loi va aggraver la pénurie de médecins et les départs vers l’étranger », fustige Baptiste Liance, 42 ans, installé à Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne). « Partir » : Gaëtan Quinquis, interne en médecine générale de 28 ans, l’envisage « de plus en plus » : « Nous avons suffisamment de contraintes, au vu de la longueur de nos études et de leur difficulté, pour que l’on ne nous impose pas, demain, le lieu où nous installer. »

La « mission de solidarité obligatoire » annoncée en grande pompe par le gouvernement, vendredi 25 avril, comme un remède aux déserts médicaux, n’a pas désamorcé la contestation. Et pour cause : le message politique de l’exécutif, voulu aussi comme un contre-feu face à la levée de boucliers des médecins, a peu convaincu.

« Une proposition pour inciter »
Le premier ministre, François Bayrou, a eu le verbe haut : « Chaque médecin généraliste ou spécialiste qui exerce dans un territoire bien pourvu devra consacrer un ou deux jours par mois à des consultations dans des zones qui sont les plus en difficulté », énonçait-il, le 25 avril, à l’occasion d’un déplacement dans le Cantal. Et de promettre une solution « puissante » et « originale », permettant d’écarter une contrainte à l’installation des médecins – une piste inflammable qu’il avait entrouverte quelques semaines plus tôt.

Aucun doute, alors, sur le caractère obligatoire de cette mission, un mot répété à l’envi dans l’entourage du chef du gouvernement, ou dans le dossier de presse détaillant ce nouveau « pacte » visant à lutter contre les déserts médicaux.

C’est pourtant un discours plus modéré que le ministre de la santé, Yannick Neuder, a fait entendre dans la foulée : interpellé sur France 3, dimanche 27 avril, au sujet de l’obligation de ces deux jours d’exercice, le cardiologue de profession a répondu d’un simple « non ». « C’est une proposition pour inciter », a-t-il assuré.

Un rétropédalage ? Une stratégie de communication, pour apporter aux uns (le grand public, les patients) une réponse, sans froisser les autres – les médecins, opposés à toute obligation ? Au ministère de la santé, on argumente, en défendant un mécanisme en deux temps. « Un appel au volontariat sera fait, dans un premier temps », promet-on par écrit dans l’entourage de M. Neuder, mais si cet appel n’est pas suffisant, les agences régionales de santé pourront, « si nécessaire, imposer des mobilisations de médecins issus de leur région ».

Qu’en est-il des « pénalités » initialement évoquées lors de la présentation du plan Bayrou, pour les médecins qui ne participeraient pas à la mission, quand des « contreparties financières » viendraient rétribuer les autres ? « Pour l’instant, on mise beaucoup sur l’engagement, sur la solidarité avec une incitation financière, a tempéré M. Neuder, lundi, à la sortie du conseil des ministres. On verra si certains ne le font pas, si effectivement il y aura des pénalités ou autres. »

Copie « brouillonne » et « inaboutie »
Le dispositif n’est pas sans rappeler le projet épineux, et avorté, d’un « contrat d’engagement territorial », défendu en 2022-2023 sous l’ancien gouvernement d’Elisabeth Borne, et prévoyant des obligations eu égard aux revalorisations de tarifs. Il avait été massivement rejeté par les syndicats de libéraux, mettant en échec les négociations conventionnelles avec l’Assurance-maladie.

Dans les rangs syndicaux, on s’interroge sur une forme d’illisibilité. « Les politiques ont un certain talent pour rester dans le flou, estime Agnès Giannotti, à la tête du syndicat MG France, majoritaire chez les généralistes. Il ne faudrait pas que nos positions soient caricaturées face à un méli-mélo d’annonces peu claires, qu’on soutient pourtant pour certaines », assure-t-elle, citant l’idée de solidarité, mais « toujours sur la base du volontariat ».

La copie reste « brouillonne » et « inaboutie », brocarde pour sa part Jérôme Marty, de l’UFML-S. « On entend bien que M. Neuder veut tout faire pour contrer le texte de M. Garot, qu’il est contre l’obligation. Soit. Mais on n’est pas des perdreaux de l’année ! Le gouvernement n’a pas la main sur le texte de M. Garot, l’article premier est déjà passé à l’Assemblée… Ils étaient où, les députés, pour l’empêcher ? »

S’il s’agit d’en rester à du volontariat, le dispositif des « deux jours » ressemble beaucoup à ce qui existe déjà : les « consultations avancées », proposées sur certains territoires et soutenues par l’Assurance-maladie (avec une valorisation, à venir en 2026, de 200 euros par demi-journée). Une initiative que porte le syndicat de médecins spécialistes Avenir Spé-Le Bloc, qui a accueilli favorablement la mesure, en plaidant pour sa montée en puissance.

Dans les cortèges, mardi, s’est aussi invité le débat sur cette mission. « Ça n’est pas une si mauvaise idée, estime l’interne Gaëtan Quinquis, en stage dans un cabinet médical du 12e arrondissement de Paris. Mais ce serait délicat de quitter notre cabinet deux jours. » Léa Naji, 22 ans, étudiante à Amiens, se pose, pour sa part, des questions sur la « qualité de suivi des patients » qui ne bénéficieraient « que » de ce type de consultations avancées.

Mattea Battaglia, Adèle Pétret et Camille Stromboni