France Info : Santé au travail : "Il y a des secteurs d’activité où il reste encore beaucoup à faire", estime un médecin du travail
L’invité éco
Isabelle Raymond, Le service éco de franceinfo
Du lundi au vendredi à 17h47 et 22h20
Clément Duret, responsable du service de pathologies professionnelles de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (APHP) était l’invité éco de franceinfo à l’occasion de la journée mondiale de la santé au travail.
Article rédigé par Isabelle Raymond Radio France
Publié le 28/04/2025
Comment nous portons-nous sur notre lieu de travail ? La question est régulièrement sur la table et notamment ce lundi 28 avril, journée mondiale pour la santé et la sécurité au travail. Clément Duret tente de répondre à cette question. Il est médecin du travail, responsable du service de pathologies professionnelles de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (APHP), et directeur médical d’Holicare, une entreprise spécialisée dans la détection et la prise en charge du burn-out en entreprise.
Clément Duret : Je dirais que c’est assez variable et hétérogène en fonction des secteurs d’activité et des métiers, bien sûr. Mais il y a eu des avancées flagrantes et massives sur certaines conditions de travail, notamment dans les usines, les mines, l’agriculture. Il y a encore des secteurs d’activité où il reste encore beaucoup à faire. Et on a une variété de risques. Les risques physiques sont bien connus. On va parler aujourd’hui des TMS (les troubles musculosquelettiques) qui sont le risque professionnel le plus indemnisé aujourd’hui, mais qui reste encore bien connu et pour autant il y a encore beaucoup de choses à faire. On a d’autres risques comme les risques chimiques, les risques psychologiques, les risques biologiques et chacun a un degré de maturité variable en fonction du secteur d’activité Et de l’ancienneté des métiers aussi.
La CGT aujourd’hui organise des rassemblements devant les hôpitaux à Nantes, à Angers, à Paris, au Mans, pour rendre visible les métiers de la santé qui sont, selon le syndicat, particulièrement pénibles et accidentogènes. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
Oui, tout à fait, puisqu’on va combiner les risques. On va avoir une exposition physique assez importante : on estime qu’une aide-soignante fait à peu près 20 heures de manutention par semaine sur un temps plein. Puis on va additionner les risques biologiques : l’exposition au sang et aux maladies. Les expositions psychosociales, bien sûr.
Y a-t-il d’autres métiers particulièrement à risque ?
L’ensemble des métiers peuvent être considérés comme à risque, en fonction bien sûr du risque attendu. On va avoir tous les métiers finalement peu qualifiés qui vont combiner des actions : le lien avec le public, l’organisation du travail, le travail de nuit et les risques physiques, par exemple. Ils vont cocher plusieurs cases et donc avec un risque afférent. D’autres métiers sont plus spécifiques, avec un seul risque, par exemple, psychosocial, mais beaucoup plus intense. Cela va être très variable et c’est toute l’importance de bien connaître le risque pour bien le prévenir.
Y a-t-il des métiers en particulier auxquels vous pensez ?
Oui. Par exemple, vous allez avoir des métiers qui sont sujets au contact avec le public. Donc on est en contact permanent avec les gens et parfois des gens en grande souffrance : les métiers de l’aide sociale par exemple, qui vont avoir une fibre émotionnelle très développée. D’autres métiers de la sécurité sont confrontés à la violence toute la journée, dans d’autres métiers on est plutôt en rapport avec des choses plus positives. Tout ça implique de bien connaître les métiers, pour bien évaluer les risques. Et c’est toute la dimension aussi de ces journées.
La première maladie professionnelle reconnue, vous l’avez dit, ce sont les troubles musculosquelettiques. C’était un critère de pénibilité qui permettait d’accumuler des points et de partir à la retraite plus tôt. Il a été enlevé, les syndicats voudraient le réintroduire. Ça fait partie des sujets du conclave sur les retraites qui a lieu en ce moment. Les syndicats ont-ils raison d’insister sur ce point à votre avis ?
Ce qui est important, et je pense que la question des retraites est sous-jacente, c’est vraiment d’adapter un modèle législatif global à des spécificités de métiers et de risques. Et effectivement, la prise en compte du risque physique devrait être prise en compte, en tout cas médicalement, dans l’impact que ça a sur le vieillissement individuel et donc sur l’accès à la retraite.
Le patronat, lui, dans le cadre de ce conclave, pousse pour l’introduction d’une visite médicale obligatoire à mi-carrière. Est-ce une piste intéressante aussi ?
Oui, tout à fait, parce qu’on a en France un gros retard sur la prévention et la détection précoce des affections de santé générale, pas forcément liées au travail, mais qu’on découvre souvent à l’occasion d’une visite de santé au travail.
Est-ce obligatoire aujourd’hui ?
La mi-carrière est en train de rentrer dans l’obligation. La visite périodique, elle, est obligatoire pour tous les salariés. Mais tous ceux qui ne sont pas salariés ne sont pas couverts par la médecine du travail. Et l’enjeu, c’est de favoriser justement la détection sur des visites un peu plus longues, des visites de dépistage, pour pouvoir faire aussi des examens paracliniques. Et l’idée étant à la fois d’informer sur les risques professionnels, de repérer des expositions antérieures avec peut-être des examens à faire et aussi de faire du dépistage global en santé publique puisqu’on sait que, à peu près vers 45 ans, on a beaucoup de pathologies qui commencent à émerger.
Avez-vous l’impression qu’aujourd’hui la santé au travail fait partie des sujets de santé publique qui commencent à émerger ?
On sent que ça commence à émerger mais qu’on part de très loin.
L’idée est de reconquérir ce terrain-là pour aller sur un engagement de la population envers son médecin du travail. Tous les intérêts qu’il peut donner aussi pour eux, notamment sur cet aspect global. Le médecin du travail a l’intérêt d’être le seul médecin à accéder au travail et aussi à faire des visites préventives.
Vous êtes aussi le directeur médical d’Holicare, une entreprise de l’économie sociale et solidaire, qui est spécialisée dans la détection des burn-out, qui sont, selon vous, un tabou, l’éléphant dans la pièce ?
Oui, l’éléphant dans la pièce puisqu’il grossit de plus en plus. Il peut concerner toutes les équipes et c’est là qu’on va avoir vraiment cette notion un peu de découverte d’un pot aux roses alors que finalement on en parle tout le temps. Et à la fois on le connaît assez mal. En tout cas, on le définit encore assez mal. C’est devenu un sujet un peu social, donc ça peut aussi être galvaudé à certaines occasions quand on en parle de trop. C’est-à-dire qu’on va attribuer le burn-out à des choses qui n’en sont pas.
L’individu lui-même aurait intérêt à ce qu’on prenne bien en charge le burn-out pour limiter sa souffrance, le collectif pour ne pas avoir à subir son absence et les coûts afférents, et l’entreprise puisque les personnes touchées par le burn-out sont les personnes les plus productives et les plus engagées, et donc tout le collectif, et bien sûr la santé publique y aurait intérêt.
Il y a donc, selon vous, une façon de détecter le burn-out et qui permettrait de faire notamment des économies pour la sécurité sociale ?
Oui, tout à fait. Tous les acteurs ont à y gagner. On peut le détecter en croisant un certain nombre d’informations médicales, d’exposition professionnelle et ensuite le prendre en charge précocement. C’est plus efficace et moins coûteux en termes de santé et de souffrance pour la personne et en termes économiques.