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Le Monde.fr : L’épidémie de chikungunya secoue La Réunion : « Il s’agit d’un mini-Covid à l’échelon local »

il y a 3 semaines, par infosecusanté

Le Monde.fr : L’épidémie de chikungunya secoue La Réunion : « Il s’agit d’un mini-Covid à l’échelon local »

Le virus a infecté, depuis août 2024, plus d’un habitant sur neuf, plaçant le système de santé sous tension et entraînant un grand nombre d’absences dans les écoles, administrations et entreprises.

Par Jérôme Talpin (Saint-Denis (La Réunion), correspondant)

Publié le 18 avril 2025

« Un vrai cauchemar pendant trois jours. J’ai bien dégusté et ce n’est pas totalement fini. » Professeur d’éducation physique à la retraite depuis quatre mois, Pascal Arville « fête », ironise-t-il, jeudi 17 avril, sa « première sortie » depuis une semaine avec l’achat de peinture dans un magasin de bricolage. Cet habitant de Saint-Denis de La Réunion âgé de 62 ans, à l’allure sportive, s’est retrouvé cloué au lit par le virus du chikungunya qui, selon Gérard Cotellon, directeur de l’agence régionale de santé (ARS), a infecté, depuis août 2024 et le déclenchement de l’épidémie, plus de 100 000 personnes à La Réunion sur 900 000 habitants. « Je ne souhaite ça à personne », soupire ce solide sexagénaire en décrivant des « douleurs généralisées à toutes les articulations, des poussées de fièvre, le corps entier qui [l]e brûlait, des maux de tête et des vomissements ».

Sur les hauteurs du chef-lieu de La Réunion, dans le quartier de la Bretagne, Julie Merle, une assistante maternelle de 39 ans, raconte elle aussi « trois jours compliqués » : « Je n’arrivais même plus à marcher. » Deux semaines après, les douleurs et la fatigue restent présentes mais moins fortes.

Signe de l’ampleur de l’épidémie, qui a fait six morts, tout le monde connaît dans l’île une personne affectée par le virus transmis par le moustique-tigre, dont la présence augmente avec l’humidité de l’été austral. Ceux qui n’ont pas été atteints se demandent à quel moment ils vont être contaminés par une piqûre. « Nous ne ressentons pas la même inquiétude que pendant la grande épidémie de 2006 [avec 270 décès directs] et que pendant la crise Covid, car les patients sont mieux informés », assure la docteure Christine Kowalczyk, présidente de l’union régionale des médecins libéraux (URML) de l’océan Indien qui alerte toutefois sur la réapparition de formes longues de la maladie.

Après des semaines continues de hausse des cas confirmés (4 913 entre le 31 mars et le 6 avril), l’épidémie semble atteindre son pic. Des indicateurs traduisent un « début d’inflexion », observe M. Cotellon, avec une baisse du nombre des consultations en ville, des hospitalisations et des cas vérifiés par un test. « Mais il faut rester prudent », ajoute-t-il aussitôt.

« Gérer les absences »
Dans une île déjà frappée par le cyclone dévastateur Garance, le 28 février, la propagation rapide du virus bouleverse la vie quotidienne. A Saint-Denis, le cabinet médical SOS Nord, avec quatre médecins de garde, est saturé, ce 17 avril en fin d’après-midi. Au moins une heure et demie d’attente pour une consultation. « Un patient sur deux vient pour le chikungunya, mais, heureusement, il y a peu de complications graves », précise la docteure Audrey Larivière. Le paracétamol est prescrit pour atténuer les douleurs. Certains recommandent des infusions avec des feuilles de papayer.

Dans les écoles, administrations et entreprises, les conséquences sont manifestes. « Au sein du tribunal, les cas s’enchaînent, raconte une magistrate de Saint-Denis, qui « sor[t] de trois jours impossibles avec le chik ». « C’est à tour de rôle. Il faut s’organiser pour gérer les absences. » « Tous les jours, je vois défiler des parents d’élèves qui arrivent en boitant à cause de cette pathologie », remarque une enseignante de Sainte-Suzanne.

Au collège Leconte-de-Lisle de Saint-Louis, dans le sud de l’île, région la plus touchée par le virus, 140 élèves sur 727 sont en moyenne absents tous les jours depuis le 7 avril, indique Béatrice Ferrère, la principale, en parlant d’une « situation exceptionnelle ». Sur les trente derniers jours, 21 enseignants sur 49 ont été placés en arrêt maladie. Principalement à cause de l’épidémie. « Nous avons pu en remplacer un sur deux par le biais du dispositif Pacte enseignant, relève Raphaël Rivière, principal adjoint. Les équipes sont mobilisées et chacun réagit avec bienveillance, car ce virus touche tout le monde. »

Dans toute l’académie, le nombre d’arrêts de travail de quelques jours a « augmenté de façon notable et anormale », confirme le rectorat de La Réunion. « La situation commence à devenir critique », alerte la secrétaire départementale du syndicat FSU, Marie-Hélène Dor, en demandant la suppression de la journée de carence pour les personnels touchés par le chikungunya.

Demande de « démoustication systématique »
Pour le monde économique, « il s’agit d’un mini-Covid à l’échelon local », diagnostique Abdoullah Lala, expert-comptable et président à La Réunion de l’Union nationale des professions libérales en décrivant des entreprises au ralenti avec des salariés et des dirigeants « absents, ou diminués, car ils mettent du temps à s’en remettre ». « Des petites structures appellent au secours, ajoute M. Lala. La période de clôture des comptes tombe à la fin du mois et, souvent, il manque du personnel pour établir les documents. »

« Dans les entreprises, entre 15 % et 20 % du personnel est absent, constate Didier Fauchard, président du Medef Réunion. Le motif ne figure pas sur les arrêts de travail, mais nous savons bien que c’est l’effet du chik. » Selon le représentant des patrons locaux, l’activité économique enregistre un net recul, « car il est difficile de trouver du personnel pour remplacer les absents ».

« C’est une deuxième catastrophe après le cyclone qui a détruit des entreprises et qui sabote un redémarrage », souffle M. Lala. Le président du Medef local compte profiter du séjour d’Emmanuel Macron dans l’île, prévu le mardi 22 avril, pour « alerter le plus haut niveau de l’Etat ». « Nous demandons le déclenchement du système d’activité partielle [avec la prise en charge de 36 % du salaire brut par l’Etat] et la démoustication systématique de tous les quartiers », appuie M. Fauchard, « très inquiet » également pour le secteur du tourisme et l’« image de la destination ». « Il ne faut pas sous-estimer cet enchaînement de crises », prévient M. Lala.

« La vaccination reste timide »
Pour intensifier la lutte contre le moustique, le préfet de La Réunion a promis, le 15 avril, la signature de 400 nouveaux contrats parcours emploi compétences dans les collectivités territoriales financées à hauteur de 65 % par l’Etat. Une mesure destinée aussi à rassurer les élus locaux vent debout contre les coupes budgétaires. En outre, 120 jeunes volontaires du régiment du service militaire adapté de La Réunion ont été déployés pour des missions de nettoyage et d’élimination des gîtes larvaires.

L’ARS a également annoncé la distribution de 15 000 moustiquaires à des femmes enceintes ou sortant de la maternité, afin de lutter contre les formes graves qui touchent des nourrissons. Quarante mille doses de vaccin Ixchiq contre le chikungunya ont été livrées à La Réunion. Mais « la vaccination reste timide », reconnaît Gérard Cotellon, avec seulement 2 600 doses injectées à la population éligible, soit les plus de 65 ans.

Le ministère de la santé a décidé, jeudi, d’ouvrir la vaccination gratuite à tous ceux âgés de plus de 18 ans présentant des comorbidités. Selon le directeur de l’ARS, 60 000 doses supplémentaires pourront être livrées dans l’île après la consommation du premier stock.

Jérôme Talpin (Saint-Denis (La Réunion), correspondant)