Le Mondfe.fr : La psychiatrie publique en France, un système à bout de souffle
Par Luc Bronner
(Mantes-la-Jolie [Yvelines], Marseille, Montpellier, Rennes, envoyé spécial)
Publié le 10 janvier 2025
Enquête« La santé mentale sans consentement » (1/3). Les difficultés auxquelles le secteur est confronté, dont le manque de praticiens, révèlent des fractures dans une discipline chargée d’une mission délicate depuis deux siècles : soigner des patients, parfois contre leur gré, tout en respectant leurs droits.
Des pyjamas bleus obligatoires pour les patients. Comme des uniformes. Pas de téléphone portable. Pas de télévision dans les chambres. Des horaires à respecter pour le lever, le repas, les pauses et l’extinction des lumières. Un minimum d’affaires personnelles. Des chambres interdites d’accès une partie de la journée et fouillées par le personnel tous les soirs. Le recours régulier à l’isolement. C’est un soignant qui lâche le morceau : « Certains détenus préfèrent repartir en détention plutôt que de rester ici. » Ici ? L’unité de soins intensifs psychiatriques (USIP) de Montpellier. Un bâtiment sécurisé avec des murs qui dépassent 6 mètres. Quinze patients au maximum. Quatre chambres d’isolement occupées presque en permanence.
L’unité est destinée aux malades en crise. L’homme qui arrive attaché sur un brancard, ce soir de la fin de novembre 2024, est en plein délire. Une dizaine de soignants de l’USIP sont présents, dont deux membres d’une équipe mobile de sécurité, au moment où il faut le détacher et l’installer dans une chambre d’isolement.
« Vous êtes ici en sécurité, lui assure Mathieu Lacambre, psychiatre et chef du service. On va vous voir deux fois par jour, le temps que vous alliez bien. »
La discussion s’engage.
« Vous étiez en communication avec d’autres personnes ? On vous donne des ordres ?, demande le médecin.
— Le diable, répond le patient.
— On peut le repousser ?
— Non.
— C’est quelque chose que vous ressentez comme une présence, comme une force ? Le diable, en particulier, vous m’avez bien dit qu’il était là ?
— Ça fait 100 millions d’années. »
Le patient reçoit une sédation – une piqûre dans la fesse administrée après que les infirmiers et les aides-soignants l’ont immobilisé et retourné sur le ventre. « Vous voulez me tuer ? », hurle le patient. Dans ses affaires, placées à l’écart, une Bible. « Il combat le démon à travers lui, s’interroge Mathieu Lacambre en sortant de la chambre, désormais fermée à clé. D’un côté, le diable, de l’autre, les anges, tout cela se mélange et il doit le combattre. Le délire est un mécanisme de défense, c’est un moyen de se protéger de la réalité. » Ce patient restera probablement plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans l’unité. A la fin de son séjour, dans les derniers jours uniquement, il aura le droit de quitter l’uniforme-pyjama.
Ce malade, et les quatorze autres dans l’unité, ont un profil très particulier : une partie vient de détention, les autres de garde à vue, suspectés d’un délit ou d’un crime, ou bien des urgences générales. Leur point commun, c’est de traverser une crise aiguë, d’être hospitalisés sans leur consentement et d’être considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. « On compte chacune des cuillères à la fin du goûter pour réduire les risques d’agression », explique une infirmière, Justine Le Mouel, dotée, comme tous ses collègues, d’un équipement d’appel d’urgence en cas de violences. Le matin, au moment de se laver, les patients viennent utiliser des bâtonnets en coton et du déodorant sous l’œil vigilant des soignants.
Le dispositif, qui existe depuis 2004 à Montpellier, est volontairement contraignant et rigide. « Notre approche, c’est d’être dans la clinique du risque, souligne M. Lacambre. Plus on est disponibles, plus on aide à gérer la crise. On essaie de laisser le moins de choses au hasard, la journée est très ritualisée, on apporte un cadre aux patients. La privation de liberté, pour ces patients, dans ce moment-là, c’est un moyen de soin. »
« Environnement favorisant »
L’architecture du bâtiment a été conçue pour obliger les malades à bouger, donc à sortir de leur chambre, même s’ils n’en ont pas envie, pour rejoindre l’espace collectif, avec une télévision et une table de ping-pong, ou bien, à heures fixes, le jardin intérieur, où ils peuvent fumer. « Certains arrivent en état de désorganisation, complète Jonathan Dos Santos Peixoto, infirmier, un des anciens du service. Ici, on repose avec eux des rituels dans leur quotidien. Le cadre est rigide pour qu’ils aient quelque chose à faire toutes les heures : se lever, faire leur lit, débarrasser la table au repas. »
Une quinzaine de départements sont désormais dotés de ces unités de soins intensifs ; plusieurs projets sont dans les cartons des hôpitaux et des agences régionales de santé. Ces dispositifs visent à recevoir les patients que les services traditionnels de psychiatrie ne parviennent plus à prendre en charge – ou qu’ils ne le veulent plus. Leur admission est transitoire, à la différence de la dizaine d’unités pour malades difficiles qui accueillent les patients les plus dangereux pendant des années. « Les patients viennent pendant une période parce que leur état de santé n’est plus compatible avec le service de secteur. Ils se retrouvent dans un environnement favorisant : moins de patients, donc moins de stimulations, plus de soignants, donc plus de temps pour chacun, ça permet d’obtenir un apaisement psycho-comportemental », plaide Clémence Bied, responsable d’une USIP à Bron (métropole du Grand Lyon) et présidente de l’association nationale regroupant ces unités.
Une vision purement sécuritaire, rétorquent les critiques. Un modèle qui consiste, selon eux, à enfermer et à isoler un peu plus les patients, en l’absence de tout cadre légal. « Le retour des maisons de force », se sont insurgés, à plusieurs reprises, des syndicats de psychiatres et des associations de familles, dénonçant l’absence de réglementation et d’évaluation indépendante de ces dispositifs d’enfermement. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), une autorité dotée de moyens d’investigation, s’inquiète, de son côté, par la voix de son secrétaire général, André Ferragne, d’une « organisation quasi carcérale », de « règles de vie restrictives », de « privations d’objets personnels », de « restrictions sur les relations extérieures » et d’une « pratique intensive de l’isolement ».
Cela pourrait ressembler à un conflit de territoire. Le sujet illustre, en réalité, l’état de tensions et de divisions de la discipline. Parce que la psychiatrie se trouve soumise à des injonctions contradictoires entre l’enfermement et le soin, entre la protection des droits des patients et la sécurisation de la société face aux risques, réels ou fantasmés, des maladies mentales. Parce que le manque de médecins tend à concentrer sur les hôpitaux publics de plus en plus de malades en rupture, en crise grave, faute de prise en charge en amont. Parce que le nombre de soins psychiatriques sans consentement − décidés à la demande d’un tiers (famille ou ami), d’un directeur d’hôpital ou sur ordre du représentant de l’Etat (préfet) – a fortement augmenté depuis dix ans, même si une partie des traitements peut aussi s’effectuer à domicile.
Des écrits de patients dans l’unité fermée de l’hôpital François-Quesnay, à Mantes-la-
Dit autrement, la discipline traverse une phase critique. Bien plus qu’une simple crise des ressources comme d’autres services publics : une crise de son modèle, une crise d’identité, aussi. Les patients et leurs familles connaissent mieux que quiconque le paradoxe de la psychiatrie française, construite, depuis les années 1960, sur l’idée ambitieuse d’une couverture par secteurs géographiques de l’ensemble du territoire afin de proposer une offre de soins égalitaire et complète, au plus proche des patients. Mais cette ambition se heurte à la grande diversité des pratiques médicales, donc à une approche en réalité très inégalitaire.
« Sur notre territoire, des services pépites coexistent avec des endroits d’où tout espoir est absent », constate Emmanuelle Rémond, présidente de l’Union nationale des associations de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), à partir des remontées effectuées auprès de ses 350 points d’accueil dans toute la France. L’association dénonce « l’extrême hétérogénéité de la qualité des soins » et ses conséquences en chaîne : « retards diagnostiques », « traitements inadéquats », « interventions inappropriées et stigmatisantes », « non-prise en compte des avancées de la science », « non-respect des droits », « mise à l’écart de leur entourage ».
Système à bout de souffle
Les dizaines de rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté témoignent des mêmes disparités : des établissements exemplaires qui côtoient des services en déshérence, avec un patrimoine vieillissant, des conditions d’hébergement jugées indignes et, parfois, le non-respect des droits des malades. Cela se sait parmi les patients et leurs proches. L’avancée historique de la sectorisation est alors vécue par une partie des familles comme un piège individuel – il arrive, dans les grandes agglomérations, que des parents déclarent de fausses adresses pour relever d’un secteur plus innovant, comme pour l’école.
Le système est à bout de souffle, s’alarment les médecins les plus expérimentés. « Aujourd’hui, nous ne pouvons plus garantir un juste soin pour tous. Lorsque j’ai débuté ici, en 1995, la démographie médicale et les conditions d’exercice le permettaient. Cela n’est plus le cas », regrette Marie-José Cortès, cheffe de pôle à Mantes-la-Jolie (Yvelines) et présidente du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, après avoir animé la réunion du matin dans l’unité d’accueil des patients en crise. « On a asséché la psychiatrie de secteur. Donc, le modèle ne fonctionne plus. Donc, cela justifie qu’il faille le remplacer par autre chose – et là s’engouffre notamment le secteur privé », se désole Delphine Glachant, psychiatre en poste à l’hôpital de Landerneau (Finistère), critique sur la place prise par les neurosciences.
La faiblesse politique des ministres de la santé, ces dernières années – sept titulaires différents depuis 2022 –, n’a pas permis de donner d’impulsion forte. Sur ce sujet particulier, les gouvernements se révèlent démissionnaires depuis longtemps, pas seulement du fait d’une motion de censure : les dernières réformes importantes sur les droits des patients ont été imposées au législateur, par des questions prioritaires de constitutionnalité, par le Conseil constitutionnel. Les difficultés s’accumulent, donc.
« L’héritage d’une discipline médicale insuffisamment pilotée est lourd », diagnostiquait le professeur Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale, à la fin de novembre 2024, lors d’un colloque de l’Unafam. « Il en résulte une somme de particularismes peu lisibles pour les patients et les professionnels », constate-t-il en employant des mots inhabituellement fermes sur « l’hétérogénéité des pratiques selon les territoires, selon les services, et même selon les unités au sein d’un même service ». Les recommandations de bonnes pratiques, qui sont censées unifier les approches, n’existent quasiment pas, en particulier pour les maladies les plus graves. La culture de l’évaluation est jugée disparate, la spécialité est à la traîne sur les démarches qualité.
La Haute Autorité de santé (HAS) attribue ainsi, de fait, des notes assez passables aux établissements de santé mentale en comparaison avec les autres spécialités. Une part significative des hôpitaux publics spécialisés (25 %) ont seulement obtenu une certification « sous conditions », alors que 10 % ont été certifiés avec une mention « haute qualité de soins », selon les données publiées, en décembre 2024, par la mission d’information parlementaire sur les urgences psychiatriques. Fait rare, l’hôpital Gérard-Marchant, à Toulouse, un site historique, vient ainsi de perdre sa certification par la HAS en raison d’une « qualité des soins insuffisante ». « Dans les chambres de la zone fermée, il n’y a pas d’accès à la lumière directe naturelle et pas d’aération possible. Dans les chambres d’isolement, il a été constaté un défaut d’hygiène avec des odeurs, le plafond taché, des sanitaires dégradés », a relevé la HAS dans son rapport rendu public, début janvier.
« La thérapie qui est appliquée à un patient ne dépend pas de sa maladie mais de son médecin », résume, un peu brutalement, M. Ferragne, impliqué depuis des années dans la défense du droit des patients. « On aura beau arroser les établissements de moyens supplémentaires, si les pratiques ne changent pas, cela n’évoluera pas », complète le professeur Bellivier.
Le secteur public est entré dans un cercle vicieux. Des hôpitaux ferment des lits, des unités, des services, faute de bras, tandis que l’offre de proximité se raréfie. « C’est comme si, pour le cancer du sein, on vous disait : “Revenez dans deux ans quand la tumeur sera plus grave” », déplore Mme Rémond, la présidente de l’Unafam. Plus d’un quart des postes sont ainsi vacants dans 40 % des établissements. « Le personnel souffre, les patients souffrent. Cela se dégrade depuis une dizaine d’années », note Gilles Leproust, maire d’Allonnes (Sarthe), où est installé le principal établissement du département.
Manque de suivi régulier
« Nous couvrons un secteur de plus de 300 000 habitants, témoigne, à son tour, Yves Praud, directeur de l’hôpital spécialisé de Blain (Loire-Atlantique). Nous avions 74 lits ouverts en 2022, on n’en a plus que 20. Nous avons un effectif autorisé de 19 équivalents temps plein de psychiatres. Or, aujourd’hui, nous n’avons que 5,5 équivalents temps plein. » Un exemple parmi des dizaines d’autres. Conséquence première : faute de suivi régulier, une partie croissante des patients a recours aux urgences, contribuant à leur embolie. Conséquence seconde : les services hospitaliers qui restent ouverts concentrent les cas les plus difficiles. Au risque de privilégier une approche plus sécuritaire. « Ne voulez-vous que des services fermés de patients en soins sans consentement où l’isolement et la contention seront la règle ? », ont interpellé quatre syndicats, à l’automne 2024, en s’adressant au gouvernement du premier ministre d’alors, Michel Barnier.
Avec 15 000 psychiatres en exercice – un chiffre constant depuis dix ans –, la France ne manquait pas, jusqu’à peu, de médecins à l’échelle nationale, en comparaison avec d’autres pays. Mais ceux-ci apparaissent très inégalement répartis sur le territoire, plus nombreux en Ile-de-France, singulièrement à Paris : la capitale, à elle seule, compte 2 000 psychiatres pour 2 millions d’habitants ; le reste du territoire en recense 13 000 pour 66 millions d’habitants, soit cinq fois moins par habitant. Ce qui explique le retard dans l’appréhension de l’ampleur des difficultés sur le territoire.
Plus inquiétant, les nouvelles générations de médecins rechignent à devenir psychiatres, alors même que la demande en matière de santé mentale est en forte augmentation et que les départs à la retraite seront nombreux dans les prochaines années. « Depuis onze ans, les postes ouverts ne sont pas tous pourvus. Les premières années, c’étaient quelques pourcents. Depuis quatre ans, cela s’est accru. Très clairement, il n’y a pas suffisamment d’internes », insiste le professeur Olivier Bonnot, président du Collège national des universitaires en psychiatrie. Pour le dernier concours classant, fin 2024, où les étudiants choisissent leurs spécialités, la discipline, moins rémunératrice que les autres, a de nouveau dû se contenter des derniers reçus. Une soixantaine de postes n’ont pas été pourvus. Autant de trous à combler, très vite, dans les hôpitaux les moins attractifs. Avec de l’intérim. Des médecins étrangers. Ou personne.
Le secteur privé est venu se positionner sur la partie la plus rentable de l’activité. Très rentable, même. « Dans le secteur privé à but lucratif, la psychiatrie demeure ainsi la discipline qui dégage le plus de bénéfices en pourcentage des recettes », rappelle, dans une note, la direction des études et des statistiques du ministère de la santé. Le résultat net du privé, pour cette spécialité, est trois fois plus élevé que pour les cliniques spécialisées dans la médecine, la chirurgie ou l’obstétrique. Or, le privé à but lucratif ne prend pas en charge les pathologies les plus lourdes. « Ils font les névroses, on fait les soins sous contrainte », glisse Nassim Messaoudi, chef de service à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, avant de se dépêcher d’intervenir pour un patient en crise.
« Aspirateur à compétences »
« Au moment où l’on a fixé l’objectif de développer la prise en charge en ambulatoire, au moment où l’on a baissé les capacités hospitalières, le privé lucratif a développé ses capacités en nombre de lits », décrypte Pascal Mariotti, directeur de l’hôpital public Le Vinatier, à Bron, également président de l’Association des établissements du service public de santé mentale. La conséquence ? « Les ressources vont vers les troubles les plus légers et les populations les plus favorisées », critique le directeur.
Les bénéfices des uns ne font pas le bonheur des autres. Les hôpitaux publics sont confrontés à la fuite des cerveaux de soignants vers des établissements avec plus de ressources et moins de pression sur la continuité des soins, donc de gardes. « Il y a un aspirateur à compétences chez eux avec moins de contraintes et plus d’argent pour des patients moins lourds, cingle Jérôme Goeminne, directeur du grand hôpital de l’Est francilien, dont le siège est à Meaux (Seine-et-Marne). On ne peut même pas parler de concurrence, parce que les règles sont bien trop différentes entre le public et le privé. » Un discours à l’unisson de beaucoup de psychiatres du public, inquiets que les paroles officielles sur la santé mentale, promue « grande cause nationale » en 2025, masquent une affectation des ressources vers les pathologies les plus légères. « Attention ! Nous avons un noyau de malades que l’on ne peut pas oublier », alerte le professeur Jean-Louis Senon, une des figures de la psychiatrie française.
Confrontée à la misère et à la précarité, bien plus que les cliniques, la psychiatrie publique se retrouve en première ligne des évolutions sociétales, notamment les actes de violence contre les soignants, parmi les plus touchés du personnel de santé. Cela conduit à des mouvements de grève réguliers à l’échelle locale, lesquels passent, jusqu’à présent, sous le radar du monde politique. Des soignants déposent des plaintes individuelles et parfois collectives. Cela conduit les plus jeunes, en tout cas une partie, à refuser le modèle sacrificiel de la médecine et à réclamer de meilleures conditions de travail, donc moins de contraintes. Cela peut aussi conduire des équipes dépassées à recourir à des mesures coercitives plus souvent. « Donnez-nous plus de soignants et il y aura beaucoup moins d’isolement et de contention à l’échelle nationale », plaide ainsi Pierre-Noël Vasse, infirmier expérimenté à Mantes-la-Jolie.
La discipline se retrouve aussi sur un équilibre fragile quand d’autres piliers du secteur public flanchent et déportent leurs difficultés. A commencer par la pédopsychiatrie, aujourd’hui en situation critique, après avoir perdu un tiers de ses effectifs de médecins en dix ans. « Il y a de plus en plus de départements complètement dépourvus de pédopsychiatres », relève Charles-Olivier Pons, président de l’Union syndicale de la psychiatrie, en poste à Dole (Jura), où la moitié seulement des emplois sont pourvus. Il passe une partie de sa semaine à parcourir des centaines de kilomètres pour rejoindre ses différents lieux d’exercice dans le département.
« J’ai un attachement viscéral au service public. Quitter la barque, non ! », affirme M. Pons. Mais se désoler de constater que, parmi les futurs internes, les mieux classés plébiscitent la chirurgie plastique, oui. Avec la pédopsychiatrie, toute l’enfance en danger est en plein glissement. « Tout le secteur médico-social se trouve en difficulté, signale-t-il encore. Les maisons d’accueil pour les ados ont de plus en plus de mal à recruter des éducateurs. »
Ce matin de novembre 2024, à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, quand les soignants font défiler les dossiers pour partager les observations, entre croissants et cafés chauds, il apparaît que plusieurs des patients accueillis sont passés par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Un autre trou noir de l’action publique. « Les mineurs qui ne sont pas pris en charge comme ils devraient en pédopsychiatrie, ils repartent à l’ASE. Ça met à mal leur fonctionnement à eux », ajoute M. Praud, directeur de l’hôpital de Blain.
Dans le bureau où il effectue ses consultations, au milieu de l’unité de « soins intensifs », le docteur Mathieu Lacambre échange des derniers mots avec un patient mineur qui repart en détention. Un trou noir, là aussi. « Ça va aller », lui dit-il avec chaleur pendant que les agents pénitentiaires passent les menottes au garçon, venu pour un épisode suicidaire. « La question de fond, insiste le médecin, c’est l’état des services publics en France : l’école, l’hôpital, la justice. Nos patients ont besoin des trois parce qu’ils sont parmi les plus vulnérables des vulnérables. Eux paient comptant lorsque cela se dégrade. » L’effet domino des services publics qui tombent.