La Sécurité sociale

Libération.fr : La fraude sociale évaluée à 13 milliards d’euros par an, majoritairement du fait d’entreprises

il y a 5 mois, par infosecusanté

Libération.fr : La fraude sociale évaluée à 13 milliards d’euros par an, majoritairement du fait d’entreprises

Régulièrement pointés du doigt dans le débat public, les assurés sociaux ne représentent qu’un tiers des sommes en jeu, lesquelles ne constituent pas un réservoir magique pour résorber le déficit public, selon le Haut Conseil au financement de la protection sociale.

par Frantz Durupt

publié le 25 septembre 2024

Commençons donc par le nombre qui ne manquera pas, dans les semaines à venir, d’alimenter bien des fantasmes. Le montant annuel de la fraude sociale en France se monte à plus de 13 milliards d’euros, évalue le Haut Conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) dans un rapport sur le sujet publié ce mercredi 25 septembre. A quelques semaines de l’examen des budgets de l’Etat et de la Sécurité sociale pour 2025, et alors que le gouvernement Barnier se lance en quête d’économies substantielles, on entend d’ici les grandes déclarations d’intention de responsables politiques qui présenteront cette somme comme un réservoir magique, et la lutte contre la fraude sociale comme une solution miracle. « C’est un levier significatif (...) et nous allons faire des propositions », déclarait encore ce mercredi matin le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, devant la presse. Sauf qu’une fois posés ces 13 milliards, qui ne sont qu’une estimation statistique, on n’a pas dit grand-chose.

L’un des principaux intérêts du rapport présenté par le HCFiPS est de remettre ce montant à sa juste place. Ces 13 milliards d’euros, qui résultent d’une analyse complexe compte tenu de l’ampleur du sujet et de la multiplicité des acteurs concernés (assurés sociaux, entreprises, professionnels de santé, Urssaf, CNAM, CNAV, CAF…), ne représentent guère que 1,9 % de la masse des prestations versées chaque année. « Même en intensifiant très fortement la lutte contre la fraude », celle-ci ne saurait être « le seul levier permettant de revenir à l’équilibre de la Sécurité sociale », prévient Dominique Libault, le président du HCFiPS. D’autant, souligne-t-il, que les outils mis en place pour traquer cette fraude sont déjà bien plus élaborés dans le domaine de la protection sociale que dans le domaine fiscal ou même dans d’autres pays similaires au nôtre.

« Le “tout-contrôle” n’est pas pleinement efficace »
Cela ne veut pas dire qu’il ne faille rien faire. Mais pour que l’action soit efficace, encore faut-il qu’elle se concentre sur de vrais enjeux. Or les exemples qui agitent le plus souvent le débat médiatique ne sont pas forcément les plus cruciaux. « La fraude sociale est souvent réduite à la fraude au RSA ou à la fraude à la résidence, ce qui tend à nourrir un discours anti-pauvres », relève le HCFiPS. Pourtant, « en euros, la fraude imputable aux assurés sociaux est de l’ordre d’un tiers (34 %) des fraudes évaluées. Les montants évalués sur les retraites sont très peu significatifs, alors que les fraudes aux “faux centenaires” font souvent la une de l’actualité ».

En réalité, plus de la moitié (56 %) de la fraude sociale provient des entreprises ou des travailleurs indépendants, et tient grandement à des cotisations non versées. Dans ce domaine, « le risque le plus important porte sur les micro-entrepreneurs », rappelle le HCFiPS. Les dérives des professionnels de santé, elles, représentent 10 % du global. Parmi ces fraudes, on estime que les contrôles permettent de détecter 2,1 milliards d’euros, dont 0,5 milliard est évité grâce à une intervention empêchant la fraude en amont. Le recouvrement des sommes, lui, représente 0,6 milliard d’euros. De l’argent qu’il est plus facile d’aller récupérer sur les assurés sociaux, car il est possible de leur prélever les sommes dues directement dans les prestations qui leur sont versées. C’est plus compliqué avec les entreprises qui fraudent l’Urssaf (53 % du total de la fraude), car elles peuvent disparaître ou organiser leur propre insolvabilité.

Dans cette situation, « le “tout-contrôle” n’est pas pleinement efficace », souligne le HCFiPS : « Il est coûteux en ressources humaines ; il peut être contreproductif en termes d’accès aux droits ; il a un coût symbolique en ce qu’il peut stigmatiser telle ou telle population (les pauvres, les professionnels de santé…) ; il n’est pas pleinement efficace au plan financier, puisque les institutions ne peuvent ni détecter, ni a fortiori, recouvrer 100 % des sommes fraudées. » Il faudrait aussi, souligne le rapport, « distinguer de façon cohérente entre branches » ce que sont « l’erreur » et la « fraude », six ans après la loi Essoc de 2018 qui avait introduit la notion de « droit à l’erreur ».

Les assurés ont aussi besoin d’être protégés
Les principales propositions du HCFiPS portent bien davantage sur la prévention. Il faut « travailler sur les normes de droit fraudogènes », explique Dominique Libault, citant « des processus qui vont autoriser certaines fraudes », comme le remboursement à 100 % des audioprothèses qui a aiguisé l’appétit d’entreprises malveillantes fournissant des appareils défectueux. Plus globalement, le HCFiPS pointe la « crédulité » un peu trop prégnante de l’Etat dans des secteurs où une partie des services publics sont confiés au privé, notamment dans le médico-social. Le sujet dépasse en partie la seule fraude, mais Dominique Libault estime que l’Etat « n’est pas assez observateur des stratégies des acteurs économiques qui s’installent sur des domaines laissés par la puissance publique », tels que la garde d’enfants et les Ehpad – et l’on pense bien sûr aux récentes révélations qui ont mis au jour les pratiques dangereuses de ces secteurs soumis au principe de rentabilité.

Plus largement, « il y a des acteurs qui n’ont jamais fait de la santé et qui viennent s’installer pour des raisons sur lesquelles on peut s’interroger », souligne Dominique Libault, évoquant les centres dentaires ou optiques qui ont fleuri et dont l’offre de soins est parfois plus que médiocre. Toujours concernant les entreprises, le Haut Conseil estime que l’atomisation du travail, avec la sous-traitance et l’externalisation, sont aussi facteurs de fraude de la part des entreprises sous-traitantes, qui sont mises sous pression temporelle et financière par leurs donneurs d’ordre.

S’agissant des assurés sociaux, le HCFiPS estime nécessaire de simplifier la norme, notamment du côté des revenus qu’il faut déclarer pour demander telle ou telle allocation, et qui varient selon les organismes. Le Haut Conseil plaide pour la mise en place d’un « revenu social de référence » valable auprès de tous les acteurs, et qui irait plus loin que le « Revenu net social » apparu sur la fiche de paie pour les déclarations auprès de la CAF. Il souligne aussi que le fait de devoir « faire des déclarations tous les trois mois », notamment auprès de la CAF justement, est « générateur de risque d’erreur ou de fraude très important ». Mais les assurés ont aussi besoin d’être protégés, souligne le HCFiPS, notamment contre les usurpations d’identité, qui se multiplient. « Nous préconisons que la lutte contre la fraude intègre pleinement cette dimension », dit Dominique Libault, expliquant qu’il en va de la « confiance » que chacun peut accorder dans le système de protection sociale