Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Le Monde.fr : Jeux olympiques : inquiétudes après des consignes de refus de sortie de malades psychiatriques au passage de la flamme

Juillet 2024, par infosecusanté

Dans plusieurs départements, des préfectures ou agences régionales de santé ont demandé aux hôpitaux de revenir sur les autorisations de sortie des patients hospitalisés sans consentement. Les acteurs du secteur s’élèvent contre ces restrictions et s’interrogent sur la suite, à quelques jours de l’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques.

Par Camille Stromboni

Publié le 23 juillet 2024

Ironie de l’histoire, au moment où le texto d’un collègue de psychiatrie du Sud-Ouest s’affiche sur son écran, le 22 mai, pour s’inquiéter d’une demande appuyée de vigilance sur ses patients, Pascal Mariotti s’apprête à quitter un colloque à l’Assemblée nationale visant à faire de la santé mentale la « grande cause nationale » de 2025. Ce n’est que la première alerte reçue par le président de l’Association des établissements du service public de santé mentale, et directeur de l’hôpital psychiatrique Le Vinatier (Lyon), sur des consignes « choquantes et illégales », dénonce-t-il. Celles-ci se sont depuis multipliées dans plusieurs départements accueillant la flamme olympique : pas question de laisser sortir certains patients psychiatriques – ceux hospitalisés sous le régime de la contrainte, sur décision du représentant de l’Etat (SDRE) – pendant les jours concernés, indique-t-on en substance.

Dans le Haut-Rhin, en Seine-Maritime, en Loire-Atlantique… Par oral, par courrier, par e-mail : des préfectures, la plupart du temps, mais aussi certaines agences régionales de santé ont demandé aux hôpitaux de revenir sur les autorisations de sortie de ces patients en soins dits « sans consentement ». Qu’il s’agisse de permissions de sortie (jusqu’à soixante-douze heures), de levées de mesures de contrainte ou de décisions de programmes de soins ambulatoires (en dehors de l’hôpital).

A quelques jours de l’ouverture des Jeux olympiques, vendredi 26 juillet, l’émotion ne retombe pas chez les acteurs du secteur, qui prennent la parole depuis plusieurs semaines pour s’élever contre ces restrictions « inédites », avec une crainte : si de telles consignes sont intervenues pour le passage de la flamme, que se passera-t-il pour les JO ?

« Violation flagrante de leurs droits »
Les psychiatres et les directeurs s’en sont émus, au même titre que les porte-voix des patients, telle l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), jusqu’à la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, qui a interpellé le ministre de l’intérieur dans un courrier en date du 21 juin – resté sans réponse.

« C’est la première fois que nous sommes informés de mesures aussi généralisées, exprimées diversement mais qui se ressemblent beaucoup entre elles », pointe-t-elle auprès du Monde, tout en soulignant dans son courrier le « paradoxe stupéfiant à stigmatiser et surenfermer un ensemble de patients atteints de handicaps psychosociaux, aux antipodes des valeurs affichées par les Jeux ». « Ces interdictions de sortie généralisées, faites à des patients hospitalisés sur une base uniquement sécuritaire, constituent une violation flagrante de leurs droits, et sont très stigmatisantes », ajoute Emmanuelle Rémond, présidente de l’Unafam.

Pour les Jeux olympiques eux-mêmes, aucune remontée n’a été constatée à ce jour en Ile-de-France, et l’agence régionale de santé assure qu’aucune consigne de « restriction des sorties des patients pris en charge en psychiatrie » n’a été formulée. Contactées, ni la Préfecture de police de Paris ni la préfecture d’Ile-de-France n’ont donné suite.

Au ministère de la santé, on dément toute « consigne générale interdisant les sorties d’hospitalisation de personnes placées sous SDRE » lors des passages de la flamme. « Les sorties d’hospitalisation sont appréciées au cas par cas par les préfectures sur la base d’un certificat médical établi par un psychiatre », assure-t-on. Sollicité, le ministère de l’intérieur n’a pas souhaité s’exprimer.

Instructions générales
A lire les documents que Le Monde a pu consulter, le « cas par cas » a pourtant cédé la place à des instructions générales, dans au moins une demi-douzaine de départements. Les directives reçues, par écrit ou par oral, vont d’un appel au « durcissement des autorisations » à la « nécessité d’éviter les sorties de courte durée », jusqu’à une demande pure et simple de « report des sorties », comme l’a formulé l’agence régionale de santé du Grand-Est.

« En aucun cas des considérations générales, liées notamment à l’ordre public, peuvent aboutir à de telles restrictions de liberté, c’est contraire à l’esprit de la loi », dénonce Frank Bellivier, psychiatre et délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie auprès du ministère de la santé, qui rappelle que ces décisions doivent reposer sur « des considérations personnelles, l’état médical du patient ». « On assimile les patients en soins psychiatriques à des personnes dangereuses, c’est faux et stigmatisant », ajoute-t-il.

Lui, comme de nombreux psychiatres, le martèle : moins de 2 % des actes pénalement répréhensibles sont le fait de personnes ayant été reconnues ensuite irresponsables pénalement. Et parmi les personnes porteuses d’un trouble psychique sévère (schizophrénie, bipolarité…), 1 % commet au moins un acte de cette nature dans sa vie, avance-t-il.

« Effet loupe »
Ces dernières semaines, plusieurs faits divers ont participé à l’« effet loupe » sur les malades psychiatriques, que dénoncent les professionnels. Un soldat de l’opération « Sentinelle » a été agressé, lundi 15 juillet, à la gare de l’Est à Paris, par un homme qui a, par la suite, été interné en psychiatrie. Mercredi 17 juillet, un autre homme a foncé en voiture sur la terrasse d’un bar du 20e arrondissement de Paris, faisant un mort et six blessés, avant d’être interpellé et conduit en psychiatrie. L’homme qui a attaqué un policier au couteau avant d’être tué par balle, jeudi 18 juillet, dans le 8e arrondissement de Paris, présentait selon sa famille des troubles psychiques.

« Une fois de plus, on se trompe de cible, reprend le directeur lyonnais Pascal Mariotti. Quand bien même on estimerait qu’une personne ayant des troubles psychiatriques induirait des facteurs de risque particuliers pour l’ordre public ou le passage à l’acte violent, viser ces patients qu’on a voulu empêcher de sortir n’a aucun sens, la problématique concerne des personnes qui ne sont le plus souvent pas diagnostiquées, ni suivies en psychiatrie, l’enjeu est justement le repérage et la prévention. »

Au-delà des mots, la consigne a-t-elle été mise à exécution, autrement dit, des sorties ont-elles été empêchées ? Dans au moins trois départements, des hôpitaux psychiatriques témoignent de refus intervenus de la part du préfet, sans motivation. Selon les dernières statistiques officielles, datant de 2021, 78 400 personnes étaient hospitalisées à temps plein en soins sans consentement.

Camille Stromboni