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Le Monde.fr : Economies sur la santé : la piste inflammable des affections « longue durée »

17 mars, par infosecusanté

Le Monde.fr : Economies sur la santé : la piste inflammable des affections « longue durée »

Le gouvernement a interrogé la possibilité de réduire les dépenses liées à ce dispositif. Les patients qui en bénéficient, dont les soins sont pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie, s’inquiètent des retombées sur leur budget de telles mesures.

Par Camille Stromboni et Mattea Battaglia

Publié le 17/03/2024

Et si le doublement des franchises médicales, ces sommes non remboursées sur les médicaments, qui s’apprêtent à passer le 31 mars à 1 euro par boîte, n’était que le premier épisode d’économies à assumer dans le domaine de la santé ? Le gouvernement l’a clairement laissé entendre ces dernières semaines, en brandissant une nouvelle piste, au moins aussi polémique : interroger le coût des affections « longue durée » (ALD), un dispositif qui bénéficie selon le ministère de la santé à treize millions de patients, dont les soins sont à ce titre pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie.

L’heure est au serrage de vis budgétaire. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, alors qu’il défendait la nécessité de réaliser, en plus des 10 milliards d’euros d’économies annoncés pour 2024, des coupes de 12 milliards d’euros sur le budget 2025, a posé la question sans détour dans nos colonnes le 6 mars : « Comment éviter la dérive sur les dépenses liées aux affections de longue durée, tout en continuant à protéger les patients ? » Le choix des mots n’a pas manqué d’être dénoncé dans les rangs des associations de patients, tout comme le projet, qui touche au remboursement des soins des plus malades parmi les assurés. Quand bien même Bercy n’a rien précisé des modalités envisagées.

Un ballon d’essai ? Le mode opératoire rappelle aux observateurs du monde de la santé celui emprunté, en 2023, pour verser dans le débat le projet d’une baisse des remboursements sur l’achat des médicaments prescrits, ou encore lors de la consultation chez le médecin – les fameuses franchises. Aujourd’hui comme à l’époque, au ministère de la santé, on maintient le flou sur ce qu’on qualifie d’hypothèse, sans toutefois l’écarter. C’est le pas de deux auquel se prête Frédéric Valletoux, un mois après sa nomination comme ministre délégué, alors que, rappelle-t-il, le chantier a été lancé « avant [son] arrivée », dans le cadre des « revues de dépenses » enclenchées par Bercy.

Vieillissement de la population
« Interroger la pertinence et l’utilité du dispositif ne me choque pas », nous explique-t-il, assurant qu’« il est, évidemment, hors de question de moins bien accompagner » ces malades. Plus de personnes âgées, plus de maladies longues, des dépenses qui s’envolent… Le nouveau ministre ne manque pas de mettre en avant que les ALD concernent 20 % des assurés tout en représentant les deux tiers des remboursements. « Aller chercher les dépenses inutiles, c’est un vrai sujet, chaque euro dépensé doit l’être au bénéfice de la santé des Français », dit-il.

Le dispositif pointé du doigt, aussi ancien que la Sécurité sociale, recoupe aujourd’hui une trentaine de regroupements de grands ensembles de maladies graves, qui évoluent pendant plus de six mois et nécessitent un traitement coûteux. La liste est fixée par décret et sur avis de la Haute Autorité de santé (HAS) : cancer, diabète, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral invalidant, affections psychiatriques de longue durée… Ces pathologies sont prises en charge intégralement (dans la limite des plafonds de la Sécurité sociale), sans « ticket modérateur » pour le patient.

De mémoire de médecin, cette liste, qui dit beaucoup du vieillissement de la population et de la chronicisation de certaines pathologies, n’a que peu évolué ces dernières décennies. En dehors du « retrait », en 2011, de l’hypertension artérielle dite sévère – la HAS l’avait, à l’époque, justifié en invoquant un « facteur de risque » pouvant être pris en charge dans le cadre d’autres affections de longue durée. En revanche, le nombre de patients couverts, de même que leurs dépenses de santé, n’a cessé d’augmenter pour atteindre aujourd’hui 66 % des remboursements de l’Assurance-maladie. Soit une enveloppe globale de 110,1 milliards d’euros en 2020.

Sur quoi économiser précisément ? Une mission a été confiée à l’inspection générale des affaires sociales et à l’inspection générale des finances, fait-on savoir à Matignon. En précisant qu’elle aura pour objectif de « réinterroger la définition et les modalités de prise en charge médicale et de couverture des patients atteints d’affection de longue durée ».

« L’urgence d’une meilleure gestion »
Difficile de trouver, dans la littérature de la protection sociale, de quoi étayer la réflexion. Dans un avis rendu en 2005, le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie interrogeait l’idée d’une éventuelle suppression du régime ALD. Avec, pour résultat, un transfert de charges vers les complémentaires santé, qui avoisinerait 8 milliards d’euros, chiffrait-il.

Pas question pour les auteurs de retenir cette piste : ils identifiaient, entre autres conséquences négatives, des risques d’éviction des personnes âgées et des plus modestes et de sélection des assurés par les complémentaires santé. En revanche, ils mettaient en avant l’« urgence d’une meilleure gestion » de ces dépenses, et les « importantes économies » à en attendre. Le tout en pointant des failles dans le système : des « critères d’accès » mal appliqués, des exonérations sur des soins sans rapport avec la maladie, avec une mauvaise utilisation des ordonnances dites « bi-zone » (lesquelles distinguent les soins liés à la pathologie chronique, couverts à 100 %, des autres), la nécessité d’une définition plus rigoureuse des durées d’octroi du régime ALD…

Vingt ans plus tard, le débat rebondit. « Nous refusons d’être désignés à la vindicte populaire comme responsable des déficits du système de santé », ont écrit, dans une lettre ouverte au ministre Frédéric Valletoux, le 4 mars, quelque vingt-cinq associations de malades chroniques. Et de regretter, dans ce courrier, un « discours ambiant » qui « laisse à penser que certains patients abusent du système avec l’aide de médecins complaisants ». Une référence au doublement des franchises médicales, mais aussi aux dernières mesures d’économie touchant aux transports sanitaires, et renforçant le covoiturage, acté dans le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

« S’emparer de la problématique en chiffrant, d’emblée, des millions d’euros d’économies à faire, évidemment que ça nous inquiète, réagit Gérard Raymond, président de France assos santé. Les critères médicaux d’entrée en affection de longue durée constituent, pour nous, patients, une ligne rouge. En revanche, nous n’avons rien contre l’idée de réfléchir, avec les autorités de santé, aux améliorations à apporter en consommant, pourquoi pas, moins de médicaments grâce à un meilleur parcours de soins et de suivi. »

« Logique de déremboursement »
Les porte-parole des patients ne manquent pas de le souligner : le « reste à charge » moyen supporté par les patients ALD, sur lequel le discours politique fait généralement l’impasse, est pratiquement deux fois plus élevé que celui du reste de la population. Si les complémentaires (mutuelles et assurances) en prennent en charge une partie, les dépassements d’honoraires des médecins consultés, les soins de santé qui ne sont pas liés à leur maladie chronique, ou encore les franchises dont ces patients ne sont pas exonérés, pèsent sur les budgets.

« Toucher aux ALD reviendrait à faire un pas de plus dans la logique de déremboursement amorcée cette année », analyse Pierre-Louis Bras, professeur associé à l’université Paris Cité et fin connaisseur du système de santé, en référence au 1,3 milliard d’euros d’économies inscrit dans le dernier budget de la Sécurité sociale – devant être réalisées grâce au doublement des franchises (800 millions d’euros), et au transfert vers les mutuelles de quelque 500 millions d’euros sur les soins bucco-dentaires, en augmentant le ticket modérateur. « C’est une rupture par rapport à la dernière décennie, poursuit-il. Depuis les années 2010, il n’y avait plus de mesures réduisant significativement les remboursements. »

Un « intéressement » proposé aux médecins libéraux pour « mieux » prescrire
Dans le cadre des négociations conventionnelles avec les six syndicats représentatifs de la médecine libérale, l’Assurance-maladie a mis sur la table, jeudi 14 mars, lors de la quatrième réunion multilatérale, entre autres propositions pour améliorer les prescriptions, un mécanisme d’intéressement. L’idée est de dégager des économies sur les dépenses de santé, qui bénéficieraient à l’Etat comme aux prescripteurs. Les médecins pourraient par exemple se voir reverser une part des économies réalisées s’ils prescrivent plus de « biosimilaires » (un médicament similaire à celui de référence, dont le brevet est tombé dans le domaine public), s’ils recentrent les prescriptions d’inhibiteurs de la pompe à protons (contre le reflux gastro-œsophagien notamment), conformément aux indications de la Haute Autorité de santé, ou encore s’ils privilégient les orthèses mandibulaires aux appareils à pression prescrits contre l’apnée du sommeil. Ce type de programme existe déjà pour les ophtalmologues. La prochaine séance plénière, possiblement conclusive, est prévue fin mars – début avril.

Lui comme d’autres le soulignent néanmoins : il existe une différence de taille entre doubler les franchises et revoir le fonctionnement des ALD. Dans le premier cas, les pouvoirs publics ont mis en avant la « responsabilisation » des patients, ce qui a été contesté mais a servi à défendre la mesure. Avancer cet argument pour des patients atteints de pathologies très graves comme les ALD, promet d’être « plus compliqué », estime-t-il.

Surtout si, comme le redoute Eric Chenut, patron de la Mutualité française, cela aboutit seulement à un transfert de charges vers les complémentaires. « S’il s’agit d’un arbitrage comptable pour faire baisser la facture de l’Assurance-maladie, ce n’est pas à la hauteur des enjeux, estime-t-il. Cela ne répondra pas à la problématique du système de protection sociale, qui est confronté à une dépense de santé qui augmente de 10 milliards à 15 milliards d’euros par an. »

Camille Stromboni et Mattea Battaglia